«On est capables!»
Bernard Landry avait soulevé le paradoxe : l’économie n’était pas la tasse de thé de René Lévesque, mais cela ne l’a pas empêché de jouer un rôle fondamental, crucial et structurel dans le domaine.
Il comprenait que le destin du Québec se jouait d’abord sur la scène économique. Et ses grands choix et grandes orientations sont venus d’une impulsion humaniste, non pas d’une quelconque motivation matérialiste. « On est capables ! » n’a-t-il jamais cessé de clamer.
De la survivance au nationalisme, en passant par le désir d’être maître de son destin… dans une vision internationale. Cette phrase puisée sur Internet résume à la fois l’homme, le politicien et sa contribution à l’émancipation du Québec économique. Était-il de gauche ? De droite ? Rejetant les étiquettes, toutes aussi réductrices les unes que les autres, René Lévesque se disait progressiste.
Lui et son équipe économique martelaient tel un mantra qu’il fallait d’abord créer de la richesse avant de la redistribuer. Et cela devait débuter par une reprise en main de nos ressources naturelles — ce que René Lévesque appelait plutôt « richesse naturelle ».
La nationalisation de l’électricité, qui a donné naissance à Hydro-Québec, est venue panser les plaies d’un quelconque sentiment d’infériorité affligeant les Québécois francophones, qui ne se trouvaient aucun talent ou prédisposition pour la chose économique (laissant ainsi à d’autres la direction des entreprises et du développement du Québec). Hydro-Québec est alors vite devenue un catalyseur du développement économique régional. La société d’État a également accéléré le rayonnement économique du Québec et le foisonnement d’une chaîne d’approvisionnement, accélérant la mainmise québécoise sur des pans entiers d’industries connexes.
Au cours de son premier mandat, le gouvernement Lévesque multiplie les réformes avec l’intention prêtée de convaincre la population de voter Oui à un référendum sur la souveraineté. Cette période amorcée en 1976 « rappelle par bien des points celle de la Révolution tranquille par ses lois (financement des partis politiques, assurance automobile, zonage agricole, loi 101 sur la langue, loi anti-scab) », peut-on lire sur Wikipédia.
Le deuxième mandat, amorcé en 1981, est des plus difficiles sur le plan politique, la réponse du gouvernement Lévesque à la sévère récession qui sévit engendrant un douloureux affrontement direct avec les syndicats. Ce qui n’a pas empêché ce gouvernement d’appuyer la création du Fonds de solidarité FTQ, afin d’élargir le soutien à la capitalisation des entreprises québécoises qu’apportait déjà le régime d’épargne-actions.
Aujourd’hui, quelque 60 ans après le déclenchement de la Révolution tranquille, d’abord sous l’impulsion de René Lévesque au sein du gouvernement libéral de Jean Lesage, puis grâce à l’élan inspirant des deux mandats du gouvernement Lévesque ayant accéléré l’élan de transformation, « le Québec économique est arrivé là où il devait être ». « Il y a eu des ratés, mais on a réussi. Nous avons acquis une indépendance économique. Le progrès a été extraordinaire, remarquable. L’économie du Québec a connu une accélération rapide unique au monde, et sa société est l’une des plus dynamiques en Amérique du Nord », s’émerveillait Michel Nadeau lors de sa toute dernière entrevue. « On a pris notre place. »
Quoique cela soit réducteur, Bernard Landry disait que l’Ontario, c’est Ford, GM, Chrysler et Toyota, alors que le Québec, c’est Bombardier, CGI, le Mouvement Desjardins, le Fonds de solidarité, SNC, ses grandes coopératives agricoles…
Si René Lévesque maîtrisait ou s’intéressait peu à l’abécédaire de l’économie, le premier ministre a su se constituer une équipe qualifiée et reconnue pour son expertise dans le domaine : Jacques Parizeau, Rodrigue Tremblay, Bernard Landry, Pierre Marc Johnson, Yves Bérubé, pour n’en nommer que quelques-uns.
Il disait d’ailleurs de Jacques Parizeau qu’il avait raison neuf fois sur 10, « mais la fois sur 10, watch out », a déjà relaté Bernard Landry, qui avait notamment pour mission de « valider » les conclusions de M. Parizeau. La désastreuse opération de nationalisation de l’industrie de l’amiante, amorcée en 1981, est devenue l’emblème de ce « watch out ».
Il était également séduit par le modèle européen conjuguant les espaces économique et politique dans le respect de l’intégrité et des aspirations nationales de chacun. Il défendait l’émergence d’un tel espace ouvert au sein duquel le pays du Québec pourrait s’épanouir pleinement. Il n’a pas pu mener à terme ce projet politique, mais il a été un grand artisan de la place qu’occupent désormais les Québécois dans la propriété de leur économie.
Si l’économie n’était pas son domaine favori, René Lévesque y a tout de même laissé son principal héritage.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.