Arlette et son péché
Plusieurs spectateurs iront voir (ou pas) Arlette de Mariloup Wolfe, sur un scénario de Marie Vien, pour de mauvaises raisons. Le film, en salle vendredi, a reçu une publicité sans bon sens.
Pour ou contre le retour de Maripier Morin au grand écran après un long passage à vide sous l’opprobre public ? Est-il trop tôt, deux ans après la crise, pour lui pardonner ses dérives d’ivrognesse harcelante dans les soirées et ses morsures à la chanteuse Safia Nolin ? Cette dernière aura payé cher sa dénonciation publique de la belle vedette, qui l’avait physiquement agressée. Menaces de mort sur les réseaux sociaux, traumatismes divers, étiquette de trouble-fête collée sur sa tronche.
De son côté, Maripier Morin a posé en blanc costume de pénitente, a clamé son désir de réhabilitation, a témoigné de ses démarches thérapeutiques, a battu sa coulpe, a fait un retour à la télé. Une repentance plus esthétique que la rouge colère de sa vis-à-vis. De quoi donner envie d’appuyer Safia Nolin sans condition. D’ailleurs, plusieurs artistes lui envoient des mots d’amour. Après tout, c’est elle, la victime. Elle qui subit un délit de faciès.
Mais le pardon éventuel de l’une doit-il déterminer l’absolution de l’autre dans nos nouvelles églises ? Ne vaudrait-il pas mieux faire campagne afin que cesse l’intimidation de Safia Nolin ? Et que les médias lui foutent donc la paix, sans la ramener sans cesse à son conflit avec Maripier Morin qui s’éternise sur la place publique !
Aujourd’hui, les journaux se transforment en brigades des moeurs ; les médias sociaux, en meute de lyncheurs. À telle enseigne, le droit à la réhabilitation perd pied. Car les sentences collectives ou médiatiques apparaissent souvent bien plus sévères que celles des cours de justice. Où allons-nous ?
L’appareil judiciaire s’est révélé si déficient au chapitre des crimes sexuels et familiaux que plusieurs le contournent pour épouser l’évolution des mentalités. Mais vivement qu’il s’adapte aux besoins du temps ! Vivement aussi que les médias — officiels et sociaux — s’interrogent sur les rôles qu’ils s’arrogent quand un vide juridique se creuse de facto.
En attendant la révolution en cour, sommes-nous vraiment habilités à trancher ces litiges avec nos marteaux de bois « gossés » à la main ? L’arbitraire prévaut de toutes parts. N’en rejetons pas seulement la faute sur le « wokisme », un mouvement porteur à la fois d’évolution sociale et de dérapages en série. Les fissures de la statue de la justice figée dans le passé suscitent également ces remous. Des causes complexes.
Dès lors, comment, sans toge et sans balises solides, sonder les coeurs et les reins ? Trop tôt pour le retour de Maripier Morin au cinéma ? Allez savoir… Pourquoi non ? Elle se soigne, elle s’excuse, elle vient d’avoir un enfant et elle change de vie. Pourquoi oui ? Safia Nolin souffre de sa mise en lumière. L’audience tranchera, semble-t-il, en boycottant Arlette ou pas. Voici la salle obscure devenue le cadre des exécutions publiques. Pouce en haut, pouce en bas, comme dans les arènes romaines. Ça effraie, quel que soit le côté de la balance où penchent nos sympathies.
Et le film ?
Place à une oeuvre sur le pouvoir de l’image, en effet miroir de la vie de sa vedette. Très inégale. Pourtant, le sujet d’Arlette est inspirant. Son décor se plante dans la ville de Québec et à l’Assemblée nationale, si photogéniques sous la caméra d’Yves Bélanger.
Une directrice de magazine de mode libre, jeune et jolie (Morin), novice en politique, se voit catapultée ministre de la Culture histoire de rafraîchir l’air du parti. Belle occasion pour aborder le rôle des arts et des lettres dans une société où sévit l’ignorance, un sujet ici traité, et c’est tant mieux. Mais Maripier Morin joue sans nuances, ou presque. Oui, à Gilbert Sicotte en premier ministre retors et à David La Haye pour sa prestation glaciale du ministre des Finances, par-delà la caricature de son rôle. Oui, à Paul Ahmarani en attaché de presse tiré à hue et à dia. Bravo aux clins d’oeil à Marie-Antoinette à Versailles, côté musique et intertitres !
Malgré ses références culturelles, comme ce scénario paraît mince ! Fallait-il transformer à ce point l’Assemblée nationale en pur boys’club, alors que les moeurs politiques ont quand même changé ? Et que de péripéties invraisemblables et de revirements à l’emporte-pièce ! Ajoutez cette conclusion en rose…
Tout ça pour ça, hélas ! Prouvant par l’absurde l’inanité d’un procès populaire qui n’en finit plus. On ne saura jamais si le public désertera Arlette afin de protester contre la présence de sa vedette en eaux troubles ou parce que le film l’aura ennuyé. À moins bien sûr qu’il ne l’applaudisse. Question de point de vue. Et si les spectateurs jugeaient Arlette au mérite… Par égard pour le cinéma, otage de trop d’enjeux dont il n’a que faire.