Contagion dans la cryptosphère
Les cryptoactifs n’en sont pas à leur première correction boursière majeure, mais l’actuel krach devrait être le pire de leur jeune histoire.
La destruction de capital dans la cryptosphère explose à vitesse grand V. Et le bain de sang prend de plus en plus la forme de pertes matérialisées, et non uniquement sur papier. À voir les « stablecoins » accaparer l’essentiel du volume négocié ces dernières séances, les investisseurs liquident leur position en grand nombre, provoquant une vague s’étendant à l’ensemble de la chaîne. Le site d’analyses spécialisé Glassnode Insights entrevoit un bear market historique, soit un marché baissier le plus important de l’histoire des cryptoactifs, de loin plus sévère que ceux de 2018-2019 et de 2015.
On en parlait au début du mois. Leurs défenseurs aiment bien rappeler que ces monnaies numériques sont nées dans la foulée de la crise financière de 2008. Ils voyaient en elles un élément d’actif non corrélé au marché traditionnel et lui conféraient aussi bien le rôle de valeur refuge que celui de diversification. L’effondrement de 60 % du marché des cryptomonnaies depuis novembre leur retire tous ces attributs présumés, écrivait-on. Cet effondrement atteint désormais les 70 %.
La capitalisation boursière des cryptomonnaies est tombée sous les 900 milliards de dollars américains mercredi, en comparaison de plus de 3000 milliards à son sommet de novembre. La valeur vedette, le bitcoin, tente désormais de s’accrocher autour des 20 000 $US après être passée sous ce seuil, considéré comme étant représentatif par les analystes techniques, à au moins trois reprises mercredi. On parle d’une chute de 70 %, ou de quelque 47 000 $US, depuis son sommet de novembre 2021.
On peut aisément qualifier cette chute de carnage dans un écosystème au fort levier, soumis à des mouvements de rachat massifs forçant les plateformes à multiplier les refinancements des collatéraux. On parle aussi d’un écosystème souffrant d’une double absence, ne pouvant s’appuyer ni sur des valeurs réelles tangibles et stables ni sur un encadrement réglementaire. Le tout est amplifié par l’absence de liquidité dans un marché dominé par l’aversion au risque.
L’onde de choc provoquée par l’écroulement, en mai, de la cote de terra luna, une cryptomonnaie stable censée avoir le dollar américain pour socle, est venue accélérer la course vers la sortie. La monnaie virtuelle a perdu en peu de temps la quasi-totalité de sa valeur, évaporant quelque 50 milliards de dollars en capitalisation le temps d’un clic ou deux, après avoir décroché de sa parité avec le dollar américain. La question de stabilité de ces « stablecoins » en période de crise se retrouvait soudainement sur toutes les lèvres.
Liquidation de Three Arrows Capital
Puis, en juin, les secousses frappaient les plateformes et les prêteurs de cryptomonnaies, avec, à la clé, l’annonce de Celsius suspendant les retraits et les transferts de compte. La Bourse de crypto CoinFlex y a fait écho. Global Block Digital Asset Trading pointe également en direction de l’émission d’un avis de défaut sur un prêt consenti par le courtier en crypto Voyager Digital à Three Arrows Capital. Déjà ébranlé par l’écrasement du stablecoin algorithmique terraUSD et luna et peinant à répondre aux demandes de retrait, le fonds spéculatif a commencé à procéder à des liquidations, indiquaient mercredi de nombreux médias, dont l’agence de presse Reuters.
Pour sa part, Voyager a tenu à rassurer ses propres clients, en précisant que le défaut du fonds spéculatif ne le mettait pas pour l’instant en difficulté. Ce qui n’empêche pas les grands prêteurs tels BlockFi, Celsius, Voyager et Genesis d’être interpellés, faisant craindre un effet de contagion dans la cryptosphère susceptible de remonter jusqu’au minage.
Réglementation
Pour plusieurs, cette crise viendra accélérer l’émergence d’une réglementation qui permettra notamment d’instaurer la confiance dans l’industrie et d’attirer davantage d’investisseurs institutionnels. Cette crise vient braquer les projecteurs sur nombre de risques composant une longue liste associée à l’investissement en cryptoactifs. D’abord, l’extrême volatilité des cours. On parle aussi d’une valeur sous-jacente se voulant trop souvent subjective, sans lien avec le réel. Pour les « stablecoins », on voit que la valeur du sous-jacent est rapidement mise à l’épreuve dans un contexte de revers de marché. Il a déjà été écrit que, malgré son nom, il n’y a aucune garantie que ce type de monnaie virtuelle apporte une protection contre une perte de valeur et que la nature et la qualité de l’actif sous-jacent peuvent varier grandement.
On le voit aussi, ces éléments d’actif souffrent d’un manque de liquidité les rendant difficiles à vendre dans un contexte d’adversité. Ils peuvent pâtir de l’absence de garantie de trouver un preneur et de l’absence de mécanismes d’arrêt des transactions en période de forte tension.
Que dire, aussi, de la surveillance de ce marché, plutôt limitée avec l’absence de lieu de négoce réglementé ? Les plateformes sont exploitées ici et là sur la planète, plusieurs n’étant accessibles à aucune forme de surveillance et de contrôle réglementaire. Et plusieurs émetteurs de cryptomonnaies ne sont pas réglementés, échappant ainsi à toute vérification et à toute exigence de capital.