Longue route vers l’abordabilité
La route devant mener au rétablissement de l’équilibre entre l’offre et la demande sur le marché résidentiel sera longue et semée d’obstacles. L’inabordabilité de la propriété pourrait s’enraciner.
Nous avons besoin de 3,5 millions de logements de plus que les projections actuelles pour rétablir l’abordabilité d’ici 2030, nous dit la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) dans un rapport publié jeudi. Cette estimation « tient compte à la fois de la hausse future de la demande et de la situation actuelle d’inabordabilité », précise-t-elle. Les deux tiers des 3,5 millions de logements manquants se trouvent en Ontario et en Colombie-Britannique, un peu moins du cinquième de l’offre requise se mesure au Québec.
Dans l’exercice, la SCHL n’aborde pas les façons de restreindre la demande ni l’impact des changements climatiques sur l’offre. On s’en tient également aux facteurs influençant l’abordabilité pour le ménage moyen. Dans son rapport, elle reconnaît aussi que la demande réelle de logements changera en fonction des variables économiques, en particulier du revenu disponible des ménages et des taux d’intérêt. Bref, il s’agit d’une lecture imparfaite reposant sur des critères parfois subjectifs, mais les projections donnent un ordre de grandeur d’un déséquilibre appelé à croître.
On braque les projecteurs sur une offre insuffisante pour expliquer notamment le bond du prix moyen des propriétés au Québec, toutes catégories confondues, de 16 % en 2020 et de 19 % en 2021, ce dernier taux marquant « la plus forte hausse de prix jamais enregistrée depuis que les chambres immobilières compilent ces données », souligne l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ).
Une analyse antérieure de la SCHL s’est penchée sur les causes de l’escalade des prix des logements. « Nous avons constaté que la demande de logements a augmenté en raison de la hausse des revenus et de la croissance démographique ainsi que des baisses des taux d’intérêt sur une longue période. » Mais l’offre n’a pas suivi. Et l’APCHQ d’ajouter que la pénurie actuelle de logements est responsable de l’envolée des prix sur le marché de la revente ainsi que des pressions à la hausse sur les loyers des logements locatifs.
Dans l’exercice de la SCHL, l’objectif est de rétablir l’abordabilité au niveau observé en 2003-2004, lorsque l’économie était stable et que les frais de logement représentaient une part relativement faible du revenu. Au Québec, le ratio frais de logement/revenu moyen brut oscillait autour des 40 % à la fin de 2021, contre 32 % en 2003-2004. Ailleurs au Canada, il peut atteindre, voire dépasser, les 60 % dans les marchés chauds de l’Ontario et de la Colombie-Britannique. La SCHL applique un rapport de 40 % entre les frais de logement et le revenu disponible, une cible correspondant approximativement à un ratio frais de logement/revenu avant impôt de 30 %.
Elle prévoit que le nombre de ménages au Canada augmentera de plus de deux millions par rapport à 2021, pour s’établir à plus de 17,5 millions en 2030. Que les revenus réels progresseront de 17 % d’ici 2030, soit environ 2 % par année, et que le taux fixe contractuel des prêts hypothécaires à cinq ans s’élèvera à un peu plus de 5 % en 2030. Le parc de logements atteindra près de 19 millions d’habitations d’ici 2030 si le rythme actuel de la construction se maintient. Or, le scénario de base de la SCHL indique qu’il faudra plutôt plus de 22 millions de logements pour assurer l’abordabilité à tous.
Au Québec, où, dans l’ensemble, l’inabordabilité du logement a rarement été un problème sauf depuis le début de la pandémie, le parc de logements prévu en 2030 devrait s’établir à 4,57 millions. Or 620 000 logements supplémentaires, soit 14 % de plus, seraient requis pour un niveau d’abordabilité de 32 % du revenu moyen brut.
Déficit de 100 000 logements
Un peu plus tôt, l’APCHQ publiait son estimation de l’actuel déficit structurel d’habitations au Québec. Elle chiffrait — aussi à titre indicatif — à quelque 100 000 le nombre de logements manquants. Elle retenait également que le déséquilibre venait essentiellement de l’offre. Que « la surchauffe et l’augmentation effrénée des prix sur le marché immobilier sont la conséquence directe de la rareté de propriétés à vendre par rapport à la demande au cours des dernières années », avec une pandémie venant exacerber la situation. Ce manque d’habitations à vendre « se reflète par un creux historique du ratio inscriptions/ventes ».
Un marché de la revente équilibré peut s’appuyer sur un ratio inscriptions/ventes oscillant entre 8 et 10. Toutes catégories confondues, il se chiffrait à la fin de 2021 à 2,8. Pour retrouver l’équilibre, en prenant un ratio de 9, il manquait quelque 58 000 propriétés offertes, a-t-elle calculé.
Sur le marché locatif, en retenant qu’un taux d’inoccupation de 3 % est habituellement considéré comme le seuil d’équilibre sans nécessairement faire consensus, il ressort de l’analyse qu’il manquait environ 15 000 logements locatifs. L’APCHQ rappelle que « cela fait maintenant quatre ans que le taux d’inoccupation des logements locatifs d’initiative privée est inférieur à ce seuil [de 3 %], ce qui témoigne d’une pénurie à cet effet. En conséquence, on observe des augmentations de loyer plus soutenues. La SCHL estime les variations du loyer moyen au Québec à 3,7 % en 2020 et à 3,6 % en 2021 ».
Pour sa part, le déficit en logements sociaux était estimé à 37 000 au 31 décembre 2020, selon les données reprises de la liste d’attente d’un HLM public ou d’un supplément au loyer régulier de la Société d’habitation du Québec. Soit une estimation totale du déficit structurel actuel de 110 000 logements, ramenée aux alentours de 100 000 pour tenir compte notamment du fait que ces trois composantes du déficit ne s’additionnent pas directement en raison des substitutions.
Obstacles dans la construction
La réponse à ce déséquilibre interpelle forcément l’industrie de la construction, un secteur aux prises avec un manque de main-d’oeuvre. Au Québec, on dénombre 4,5 travailleurs de la construction par logement, contre une moyenne historique de 10,2, indique la SCHL. Vendredi, Statistique Canada soulignait que le nombre de postes vacants a atteint un niveau record dans plusieurs secteurs au Canada, dont celui de la construction, qui a vu ce nombre atteindre 89 900 en avril, en hausse de 15 % par rapport à mars et de 43 % comparativement à avril 2021. De plus, la pandémie et l’invasion de l’Ukraine ont engendré des problèmes d’approvisionnement faisant exploser les coûts de construction, qui subiraient également la pression d’une hausse soudaine de l’offre. Si l’augmentation du prix d’une maison neuve au Québec s’est élevée à 17 % en 2021, ces facteurs devraient se traduire par une hausse au moins égale en 2022.Et il faut y ajouter la remontée des taux d’intérêt, qui fait pression sur les coûts de financement des projets immobiliers.