De beaux robots

Le ministre Jean Boulet a déclaré qu’il nous faut moins d’immigrants et plus de robots. Il l’a dit au magazine L’Actualité. Pas dans le numéro qui traîne depuis trois ans dans la salle d’attente de votre dentiste, mais dans celui qui se trouve ces jours-ci près des caisses désormais plus ou moins automatisées et robotisées des supermarchés.

Les machines remplaceront-elles les hommes en recréant le monde indéfiniment ? Pour Jean Boulet, il s’agit là en tout cas de la voie du progrès. « Tout ce qui est répétitif s’automatise », affirme-t-il dans L’Actualité. Les robots remplaceront bientôt les immigrants pour le travail redondant. Ce sera là, à son sens, l’avenue royale pour augmenter la productivité et économiser de l’argent, comme son gouvernement ne cesse de le souhaiter.

Est-ce qu’un ministre qui répète sensiblement toujours la même chose peut lui aussi être mécanisé ? Un faux ministre sous forme de vrai robot, est-ce pour bientôt ?

Pour le moment, pas question de voir plus d’immigrants, répète le ministre Boulet. Il rejette l’idée de hausser des seuils d’immigration pour contrer la pénurie de main-d’oeuvre, comme le demande le monde du travail.

En 1931, en pleine crise économique, la Bolduc chantait qu’en matière de productivité, « un Canadien valait trois immigrants » et que, de toute façon, on « ne peut plus les supporter ». Dans sa turlute intitulée L’ouvrage aux Canadiens, la Bolduc ajoutait que « c’est pas raisonnable, quand il y a de l’ouvrage, que ce soient des étrangers qui soient engagés ». Dans cette vieille chanson, à laquelle Jean Boulet ajoute aujourd’hui un couplet de son cru, à combien d’immigrants équivaudrait un robot ? Et que vaut la vie d’un immigrant par rapport à un robot, tant qu’à y être ?

Le ministre Boulet fait de l’immigration une obsession. En décembre 2021, il lançait dans l’éther du Net un tweet demandant à Ottawa de « fermer le chemin Roxham », ce passage où transitent des immigrants qui veulent faire une demande d’asile au Canada. « Nous devons tous nous mobiliser devant la remontée des cas de COVID-19 », disait cette éructation, afin « de ne pas surcharger notre système de santé ». Le ministre posait ainsi une curieuse équation, jamais démontrée, entre cette immigration et la contamination. Pour se dédouaner de ses remarques à la frontière de la xénophobie, M. Boulet s’était empressé de dire que « la qualité humaine du message n’est pas optimale ». Peut-être qu’un robot aurait mieux fait, qui sait ?

Depuis, son gouvernement n’a pas cessé de faire de ce chemin Roxham une sorte de tête de Turc, qui permet d’insinuer sans arrêt que l’avenir tout entier du Québec est menacé par l’immigration. « On demande clairement au gouvernement fédéral et à Justin Trudeau de fermer le chemin Roxham », a claironné à nouveau le premier ministre Legault en mai.

Fermons-le donc, le chemin Roxham ! Il ne restera après tout qu’un peu plus de 800 km de la frontière entre le Québec et les États-Unis à étanchéifier. Un beau programme en perspective pour qui veut bien croire, comme au milieu des années 1930, que tous nos problèmes tiennent à de malheureux immigrants en quête d’humanité.

Remarquez qu’il est plein de charité, M. Boulet. Celui qui le suit un peu attentivement sur les réseaux sociaux ne compte plus le nombre de fois où on le voit, teint hâlé et sourire radieux, faire acte de présence à une oeuvre de charité. Il n’est pas ministre de la « solidarité sociale » pour rien.

Autrefois, pareil ministère se serait appelé le ministère des Bonnes Oeuvres et de la Pensée heureuse. Mais, que voulez-vous, les temps ont changé. Vous n’aviez pas remarqué ? Pourtant, le ministre vous l’a expliqué : nous voici à l’ère des robots.

Que sera le monde de 2050, c’est-à-dire quand il y aura des robots partout ? D’abord, qu’est-ce que c’est, « le monde » ? Du point de vue du gouvernement à Québec, c’est d’abord l’Ontario, la mesure étalon en toute chose. Dans L’Actualité, on apprend en écoutant M. Boulet que la productivité des entreprises québécoises est meilleure que celle des entreprises de l’Ontario ces derniers temps. En faut-il davantage pour croire de plus belle en un avenir radieux ?

En 2050, selon différentes projections démographiques, l’Ontario comptera sans doute un peu plus de 20 millions de citoyens, à majorité anglophone. La migration représentera près de 90 % de cette croissance démographique. Le Québec comptera-t-il pour sa part environ 8 millions de citoyens et 2 millions de robots ? Tout le monde serait heureux dans un monde pareil. Faut-il envisager plus loin, au chapitre de la fiction, à quoi cela pourrait ressembler ?

Imaginons qu’il y aura, dans ce Québec rayonnant, des quartiers de robots où l’on pourra manger quelques plats de boulons apprêtés par des chefs de la diaspora robotique. Dans nos CHSLD inchangés, des robots serviront encore du Jello et de la purée de patates faite à base de poudre. Une autre machine, celle-là responsable de la Santé publique, assurera chaque semaine que tout va bien aller. Un androïde écrivain, consacré immortel, publiera un livre intitulé Comment faire l’amour avec un robot sans se fatiguer. Et chacun chantera la grandeur robotique du Québec, du soleil culturel qu’il représente pour éclairer l’humanité. Nous serons fiers.

Il n’y aura même plus besoin de mener des campagnes électorales sur le dos des étrangers, comme on le faisait en 1930 ou en 2022. La déshumanisation et l’instrumentalisation de l’immigrant appartiendront pour de bon au temps d’avant les robots. Ce sera là, au moins, un vrai progrès.

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