Le spectacle de René Lévesque

Lundi soir, je suis allée à la Grande Bibliothèque pour le lancement des célébrations du centenaire de René Lévesque. Un démarrage obscurci par les chicanes et les faux pas récents bourdonnant à nos oreilles. Tel le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, invité in extremis à prendre la parole après avoir été d’abord snobé. Et la maison d’enfance gaspésienne de Lévesque, classée patrimoniale à New Carlisle, mais laissée en pâture aux moisissures pendant toutes ces années. Et les mots cinglants de Lucien Bouchard sur le PQ d’aujourd’hui. Et la soeur de René Lévesque, Alice, qui lui a répondu de véhémente façon dans une lettre ouverte. Sans compter le passage de Bernard Drainville à la CAQ après des décennies de bataille souverainiste, soulevant questionnements et passions. Qui est un vrai souverainiste et qui ne l’est plus ? Tant de divisions en amont, tant de cris, de maladresses, de prises de bec créaient un climat trouble, forcément. Des gens à ne pas inviter ensemble au même party étaient réunis au même party. De faux sourires s’échangeaient entre pugilistes. Mais il en avait connu, des bisbilles, des injures et des coups tordus durant son parcours politique, René Lévesque. Il devait rire d’outre-tombe.

Avec son ombre, je voyais le côté spectacle de cette réunion agrémentée de piques de banderilles. Les chefs des différents partis, des membres de la famille (dont mon ancien collègue Claude Lévesque), d’autres invités, comme Pierre Karl Péladeau, très en verve, ont pris la parole devant une assemblée debout qui avait mal aux jambes. Lucien Bouchard, la mine piteuse, s’est excusé avec une dose d’humour pour ses propos intempestifs. Paul St-Pierre Plamondon a enfourché le dragon dans la pièce en lançant un coup de chapeau à René Lévesque, qui fut chroniqueur au Journal de Montréal : « Gageons qu’il aurait employé les mêmes mots “faux-semblant” et “hypocrisie” pour qualifier l’actualité politique des dernières semaines… » Et vlan ! Tous, plus ou moins amadoués après coup, revendiquaient l’héritage du grand homme. Les hommages sentis pleuvaient.

René Lévesque appartient intimement à ceux qu’il a marqués. Je ne l’ai jamais surnommé Ti-Poil. Par respect pour sa stature nourrie de failles intimes, d’ambitions collectives, d’idéal démocratique, d’amour de son peuple et du pouvoir de le galvaniser. L’ancien journaliste de Carrefour et de Point de mire avait jadis ouvert les Québécois au monde, comme correspondant de guerre entre autres. Découvrir à chaud les horreurs du camp de concentration de Dachau, ça marque un homme. C’est à la radio et à la télé que ses talents d’animateur vulgarisateur avaient explosé. Curieux de tout, Lévesque était également un lecteur boulimique, un excellent écrivain et chroniqueur. D’ailleurs, les activités entourant l’année à son nom se joueront beaucoup sur l’arène artistique, avec notamment une exposition au Musée de la civilisation dans la capitale, un spectacle hommage à Montréal. Un prix en journalisme René-Lévesque sera créé, nous annonçait François Legault. Le politicien préféré des Québécois eut plusieurs vies.

Autant profiter de son centenaire de naissance pour saluer aussi l’artiste en lui. Et pourquoi pas ses performances de comédien tribun dans le rôle du gars apparemment simple au sourire timide, cachant des abîmes de complexité ? Par-delà des convictions réelles, quel chef d’État peut séduire les foules sans se mettre en scène ? Pierre Elliott Trudeau, le frère ennemi, campait à Ottawa un personnage tout autre, de panache, d’arrogance et de perfidie. Les deux hommes auront arboré tour à tour les masques de la tragédie et de la comédie, avec cape et fleur à la boutonnière ou veston élimé et cigarette au bec.

Lettré, informé, une fois arrivé à la tête du PQ, il aura moins cherché à attirer les siens dans son orbite culturelle et linguistique qu’à les rassurer. Plusieurs premiers ministres du Québec ont, à sa suite, mis en sourdine leurs connaissances artistiques et universalistes en accédant au pouvoir, pour se concilier les électeurs. Lévesque se sentait près du peuple, de toute façon. Mais avec 47,8 % d’analphabètes fonctionnels, il semble que la stratégie, qui fit boule de neige, a perpétué des laisser-aller collectifs. L’appel à la fierté, c’est beau. De Lévesque à Legault, on le claironne. Mais est-ce un projet de société ? Inciter les gens à faire de vrais efforts pour se cultiver et mieux parler français se révélerait moins populaire. Qui veut les heurter ? Le legs de Lévesque semble à la fois lumineux et enchevêtré comme une forêt défrichée par chaque Québécois à sa guise. Certains se criant dans son sillage des noms par la tête : Passéiste ! Renégat ! Tous troublés par son rêve de souveraineté qui prend l’eau comme la maison gaspésienne du grand disparu célébré en fanfare cette année.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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