Conversation avec Yves Gingras

C’est fait. La très attendue Loi sur la liberté académique dans le milieu universitaire a été adoptée par l’Assemblée nationale le 3 juin dernier. Cette loi, qui fait suite au rapport de la commission Cloutier, définit la liberté universitaire et s’assure que les universités se doteront d’une politique par laquelle celle-ci sera reconnue, promue et protégée.

J’ai souhaité en parler avec Yves Gingras, professeur à l’UQAM et membre de la commission Cloutier, dont je me sens proche sur toutes ces questions.

Sur la loi et les débats qu’elle a suscités

La première recommandation du rapport au gouvernement était « de faire adopter une loi énonçant la mission de l’université ainsi que les conditions de son accomplissement et définissant la liberté universitaire et ses bénéficiaires ». Yves Gingras est-il satisfait de ce que propose et impose la nouvelle loi ?

Il l’est.

La loi, dit-il, définit, et c’est la première fois qu’elle le fait, « la mission de l’université et rappelle que deux conditions sont nécessaires pour la réaliser : l’autonomie des institutions et la liberté universitaire des enseignants ».

Je lui rappelle que la loi a pourtant suscité des critiques et des réactions négatives. Certaines étaient-elles légitimes, selon lui ?

Yves Gingras pense que si « la première version du projet de loi était critiquable par certaines de ses formulations, la version amendée ne pose plus de problèmes, même si on aurait pu, comme le demandait le rapport Cloutier, inclure le fait de prendre fait et cause pour un professeur attaqué dans l’exercice de ses fonctions, c’est-à-dire pour des interventions publiques justifiées et argumentées de manière rationnelle ».

Il ajoute qu’il revient aussi aux syndicats de négocier des conventions collectives qui incluent cela et souligne qu’aucun député n’a voté contre la loi, ce qui témoigne d’un fort consensus à son sujet. (Rappelons que les huit députés de Québec solidaire présents se sont quant à eux abstenus de voter.)

Un cas de panique morale ?

Certains ont soutenu qu’avec ce débat sur la liberté universitaire, on est devant un cas de « panique morale ». Je ne suis pas d’accord avec eux. D’autant que le rapport Cloutier comprenait une annexe recensant des événements récents impliquant la liberté universitaire au Québec, annexe dont on peut penser qu’elle invalide cette hypothèse. Est-ce aussi son avis ?

Yves Gingras répond que ces critiques ne sont pas fondées. Elles relèvent selon lui d’une volonté de « minimiser les faits, d’imputer des motifs cachés ou de faire de la psycho pop ».

La notion de panique morale, poursuit-il, « fonctionne ici non pas comme un concept neutre et symétrique dans son application, mais comme une tautologie : devient “panique” tout ce avec quoi on est en désaccord. C’est une forme de pathologisation du débat et non pas d’argumentation. Quant au nombre de cas, j’ai toujours considéré que, quand un problème est repéré, il ne faut pas attendre la multiplication des cas pour intervenir. Dire “c’est marginal” est typique de cette rhétorique répétée souvent par certains recteurs ».

La responsabilité des universités

 

Certains soutiennent que les universités ont une part de responsabilité dans le fait que l’État ait dû intervenir par une loi dans ce dossier. Qu’en pense M. Gingras ?

Sa réponse est sans ambiguïté. « Il est parfaitement clair que si les universités avaient réellement compris l’importance de défendre et de promouvoir la liberté universitaire en pratique, et non pas par de simples “déclarations”, elles n’auraient pas chaque fois pris le parti des demandes étudiantes incompatibles avec cette liberté d’enseignement, de recherche et de création. »

Qu’auraient-elles pu et dû faire ?

Selon lui, elles auraient dû expliquer aux personnes qui se plaignaient ce qu’est une université, que c’est par excellence le lieu de débats argumentés sur tous les sujets. En lieu et place, déplore-t-il, les cas répertoriés montrent une tendance à vouloir ne pas faire de vagues, à « flatter les étudiants dans le sens du poil et à dire aux profs de se taire, de s’adapter, quand ils ne sont pas sommés de s’expliquer comme s’ils étaient déjà coupables ».

Justement. Certains, et j’en suis, voient aussi de sérieuses menaces à la liberté universitaire dans une certaine domination idéologique s’apparentant dans les pires des cas à de la propagande ou à de l’endoctrinement. Devrait-on prendre ces menaces au sérieux, selon lui ?

Yves Gingras rappelle que la défense de la liberté universitaire doit s’exercer devant toutes les tentatives de censure, « qu’elles viennent de l’État, des religions, de l’industrie ou des groupes de pression idéologique de toute nature ».

Un exemple concret de ces pressions idéologiques ?

Il rappelle cette tendance récente à « demander aux chercheurs de dire ce qu’ils vont faire pour faire avancer la cause EDI [équité, diversité, inclusion] ou aux étudiants comment ils s’impliquent socialement ». Tout cela, dit-il, « va à l’encontre de la liberté à l’université et contrevient même à la Charte des droits et libertés, qui ne défend pas seulement le droit de s’exprimer sur un sujet, mais aussi celui de ne pas s’exprimer sur un sujet. Un chercheur a le droit de limiter son travail à la recherche des exoplanètes sans avoir à donner son opinion sur les sujets moralement à la mode ».

Pour finir, j’ai voulu savoir ce qui l’avait amené à accepter de faire partie de cette commission — ce n’est pas chose si courante pour un universitaire.

« J’ai pour principe que, comme professeur, j’ai une certaine expertise, répond-il. Que ma formation et mon salaire ont essentiellement été payés par des deniers publics et que j’ai une sorte d’obligation de ne pas refuser sans bonnes raisons une demande légitime d’un gouvernement élu. »

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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