Viser la catastrophe

Il est de plus en plus clair que le Québec va rater sa cible de réduction des gaz à effet de serre (GES) pour 2030. Une cible fixée à 37,5 % par rapport au niveau d’émission de 1990, ce qui, déjà, est un objectif insuffisant si l’on tient compte de la contribution du Québec aux émissions mondiales. Si la province voulait vraiment faire sa juste part et ainsi respecter l’esprit de l’Accord de Paris, son objectif serait bien plus ambitieux. Or, dans les derniers jours, il y a eu deux rappels de l’échec à venir.

D’abord, un rapport de la Commissaire au développement durable, Janique Lambert, révélait la semaine dernière des carences graves dans la gouvernance du Fonds d’électrification et de changements climatiques (FECC), qui remplace le Fonds vert depuis 2020. On l’écrivait dans ces pages : la commissaire estime que le gouvernement dépense à l’aveuglette les sommes affectées au Fonds ; certains projets financés n’ont pas été évalués par le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC), qui lui-même peine à coordonner les actions censées assurer la mise en œuvre du Plan pour une économie verte 2030.

Le rapport détaille un manque de sérieux alarmant, qui compromet l’atteinte des cibles de réduction de GES adoptées par Québec. Le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, a malgré tout balayé la critique du revers en disant que, de toute façon, ce portrait datait du printemps 2021 et n’était pas à jour. Disons qu’à voir l’indolence générale de ce gouvernement sur les questions climatiques, on imagine difficilement qu’un revirement de situation radical se soit produit depuis l’an dernier.

Puis, mercredi, un nouveau rapport, cette fois-ci de l’Institut de l’énergie Trottier (IET) et Polytechnique Montréal, en remettait une couche, stipulant que les mesures inscrites dans le Plan pour une économie verte sont « largement insuffisantes » pour espérer atteindre l’objectif de réduction des émissions fixé pour 2030. Les auteurs du document soulignent également qu’aucun secteur de l’économie examiné ne présente de « tendance structurelle à la baisse de ses émissions depuis 2015 », si bien qu’une réduction de 37,5 % des émissions totales d’ici 2030 est maintenant « pratiquement inatteignable ». Avec un peu de bonne volonté, on pourrait encore viser l’horizon 2050 — mais disons que ce serait trop peu, beaucoup trop tard.

En marge de la publication du rapport de l’IET, son directeur scientifique, Normand Mousseau, parlait de la banalisation des échecs constants dans l’atteinte des cibles climatiques. Il est vrai qu’il y a quelque chose de troublant à voir l’indifférence avec laquelle on annonce et accueille l’enchaînement des défaites et des renoncements, au chapitre de la transition écologique. Comme si on s’était habitué à préparer la catastrophe.

Cette accoutumance à l’échec, cette forme particulièrement sinistre de résignation, n’est d’ailleurs pas spécifique au Québec. À l’échelle internationale aussi, elle s’institutionnalise de façon de plus en plus assumée.

Dans le sillage des plus récents rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), qui nous parlaient de cette fameuse fenêtre qui se referme pour l’action climatique, on annonçait en mai la création de la Commission mondiale sur la réduction des risques climatiques liés au dépassement (Climate Overshoot Commission, dont l’appellation en anglais est pour le coup très imagée), un groupe indépendant composé de leaders internationaux chargé d’élaborer une stratégie de réduction des risques climatiques en cas de dépassement temporaire de l’objectif de limiter le réchauffement mondial à 1,5 °C.

Ce dépassement temporaire, le GIEC nous l’a bien fait comprendre, est désormais de l’ordre de la quasi-certitude. Or, cette Commission est une chose curieuse et inquiétante ; drapée de vertu, présentée sur un ton pragmatique, mais traversée néanmoins par une tension. Comme si, dans sa création même, à travers son ambition d’envisager concrètement le déploiement de technologies « d’intervention climatique » dans un monde « temporairement » trop chaud, on annonçait l’abandon progressif de l’intention de réaliser une réelle transition écologique juste et démocratique.

Sur le site de la Commission, on prend bien soin de spécifier qu’il faut continuer à prioriser la réduction des émissions de GES, mais, soutient-on, il est maintenant nécessaire d’explorer des « approches supplémentaires » pour endiguer les risques de réchauffement, au-delà de ce que la réduction des émissions peut permettre. Par approches supplémentaires, on entend notamment l’exploration des technologies de captage du carbone et de refroidissement de l’atmosphère. Évidemment, on avance sur ce terrain controversé comme on marche sur une glace très fine, en insistant beaucoup sur le fait que ces recherches sont exploratoires, qu’il s’agit seulement d’évaluer l’utilisation potentielle de ces technologies.

J’y reviendrai, car il y a beaucoup à apprendre et à dire sur ces technologies franchement dystopiques. Pour lors, soulignons seulement que dans la négligence du gouvernement du Québec comme dans l’émergence d’entités transnationales chargées de penser le « dépassement » climatique, il y a une connivence claire. On voit bien le délire qui prend forme : on déviera les rayons du soleil et on changera la composition de l’atmosphère avant de parler sérieusement de transition, de décroissance. On nous prépare à passer directement de l’inaction à la résilience forcée.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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