Verdita et le sourire de Mona Lisa

Dimanche dernier, La Joconde a failli perdre son sourire énigmatique, victime d’un entartage devenu viral au musée du Louvre. L’entarteur/activiste nous enjoignait de « penser à la planète ! ». Certains y pensent, d’autres la pansent et n’ont pas peur de se salir les mains et le pantalon. C’est le cas de Verdita et de ses amis, des générations Y pur kale, nés au début des années 1990. Verdita en est à sa seconde année à la tête de sa toute petite entreprise maraîchère De fil en légumes.
Verdita, un prénom qu’iel a choisi, a 29 ans et une formation en design de mode, d’où le « Fil » accolé aux légumes. Iel hésite entre le non-binaire et la transcendance des genres, parle de sa personne au féminin ou au masculin et s’est tourné.e vers la culture maraîchère bio (sans certification pour l’instant) l’année dernière.
Sa « mentore rurale », « Nini » (Monique Savoie), leur a prêté son champ-laboratoire à Stanbridge Station, en Estrie, histoire de collaborer à leur projet. Ils ont aussi accès à un étang pour arroser leurs légumes grâce à une pompe et à un système de boyaux perforés. La fondatrice et ex-directrice de la Société des arts technologiques (SAT) a pris sa retraite du navire du boulevard Saint-Laurent l’année dernière : « Je trouvais important de conserver un lien avec les valeurs de cette nouvelle génération. »
Je les ai accompagnés au champ cette semaine, une petite parcelle de 2000 mètres carrés, la moitié d’une acre, qu’ils cultivent de mai à octobre et qui fournira trois bars et restaurants du boulevard Saint-Laurent, dont le Labo culinaire — Foodlab de la SAT, le Beau Temps et le Majestique. « L’année dernière, on a perdu des légumes, se désole Verdita. On n’avait pas assez de clients. » J’ai eu la chance de récolter les oubliés des grâces l’automne dernier, un vrai régal qui leur coûte cher en sueur, en égratignures, en piqûres et en coups de soleil.
Verdita a appris sur le tas de foin en faisant du woofing en Grèce, en Turquie, en Bulgarie et en France durant sa jeune vingtaine. Puis, iel a obtenu un certificat sur la science des plantes à l’Université Dalhousie, un autre en agriculture biologique et la formation en ligne du populaire maraîcher Jean-Martin Fortier.
Il faut louer ou squatter un petit lopin de terre quelque part, le mettre en culture et manger rapidement la récolte
Aujourd’hui, Verdita redonne à la prochaine génération à une échelle artisanale. Grâce au sociofinancement (ils ont récolté 20 000 $ ce printemps) et à une aide du Fonds Mille et UN pour la jeunesse, De fil en légumes pourra à son tour enseigner les bases du maraîchage à des jeunes de 15 à 18 ans cet été. « Il y a une partie théorique, mais également pratique, insiste Verdita. Ce n’est pas seulement une science, les plantes, c’est aussi un art. »
Lapin fleuri et écoanxiété
Grimpés sur leur balle de foin, ils ont l’air d’un épisode grano de L’amour est dans le pré. Christobald, Jade, Val, Niky, Antoine, tous bénévoles, sauf Charlotte, la stagiaire, sont venus prêter main-forte à leur ami.e pour les plantations de tomates, de haricots grimpants et de piments shishitos. Biodivertissants, ils ont des lapins fleuris ou des araignées tatoués sur les cuisses et les mains.
Ils rêvent d’une terre à eux plutôt que de squatter celle de Nini ; ils rêvent d’une planète saine et d’un sol vivant plutôt que de faire de l’écoanxiété ; ils rêvent d’un monde où bien se nourrir n’est pas un luxe : « Les gens, surtout en ville, ne savent pas ce que c’est, un sol vivant : c’est un gros organisme avec des petits animaux, taupes et mulots, des vers, de l’humus, des résidus organiques, des insectes, des champignons. Les gens veulent seulement payer le moins cher possible. La nourriture est une commodité plutôt que quelque chose dans lequel on investit. »
Tous ces jeunes amoureux de la terre n’ont de cesse de la chatouiller de leurs petites mains agiles pour y enraciner un rêve
« On ne va jamais être capables de se bâtir un capital pour s’acheter une maison. Ma mère avait un chalet à 20 ans, raconte Val, 30 ans. Nous, on est tatoués, pis on aime le vin orange ! » Elle le dit avec une pointe d’ironie, comme si tout se jouait au présent. Val ajoute qu’elle ne veut pas d’enfants, qu’il y en a assez sur la Terre. Jade, 28 ans, est du même avis : « J’adopterai à 40 ou 50 ans… »
Verdita en ajoute une couche : « L’épicerie augmente, les loyers montent… Ou ça va créer encore plus d’écart de richesse ou ça va faire un clash économique. » Bingo !
Entre déni climatique et action écologique
Dans les champs, des CD déposés au sol font peur aux oiseaux, l’huile essentielle d’ail et l’épouvantail éloignent les chevreuils. Verdita me parle de tracteurs qui pétaradent à l’huile de patates, de culture de tomates sans eau, de racines de semis trempés dans l’argile.
Le jeune maraîcher ne cache pas son écoanxiété et est abonné à BBC Earth : « J’ai l’impression que ça ne va pas assez vite. On n’arrivera pas à sauver la planète. Moi, j’ai besoin de prendre soin de mes besoins primaires, de mon autonomie alimentaire, ça fait baisser mon angoisse existentielle. »
Pour le reste, iel se consacre à l’art et à la spiritualité avec ses amis, coud ses vêtements et vit sa jeunesse en ville, un pied au champ, un pied sur le bitume, des brillants sur les joues. « Notre génération sait qu’avec les changements climatiques, ça sera différent. Avec la COVID, on a vu que tout pouvait basculer du jour au lendemain. »
Verdita observe deux tendances : « Je vois deux sortes de jeunes : ceux qui sont dans le déni et vont se perdre dans le Métavers et les divertissements, et ceux qui sont en mode survie face aux écosystèmes ou qui s’impliquent dans des groupes comme Extinction Rebellion. » Ou comme les étudiants qui font la grève cet après-midi et manifestent pour une justice climatique.
« Il va falloir s’adapter et changer plus rapidement. Moi, j’espère de l’entraide, note Verdita. C’est à travers la diversité qu’on devient résilient. Une de mes missions de vie, c’est de transmettre la connaissance, de la rendre accessible. »
De quoi faire sourire La Joconde pour toujours…
Instagram : josee.blanchette
Joblog | «Humus», humains et humilité
Le film de Carole Poliquin est un cri venu de la terre. Humus est une oeuvre fend-le-coeur et un vent d’espoir. De jeunes maraîchers de la Montérégie nous invitent dans leur quotidien rustique, une ferme de 12 acres (Les bontés de la vallée) où on applique les principes du sol vivant, de la diversité, où on parle de « développer les communs » et d’alimentation sauvage, où on crée des conditions favorables pour que la vie s’installe au champ, dans l’aliment, pour notre santé. François D’Aoust et Mélina Plante font la démonstration qu’une agriculture basée sur la sagesse, la sobriété et l’équilibre (mais peu ou pas rentable pour l’instant…) est la seule option valable pour l’avenir. L’agronome dissident du MAPAQ, Louis Robert, explique que nos terres appauvries par des décennies d’engrais chimiques et de monocultures ne produisent qu’entre 40 % et 60 % de leur capacité. Les terres arables disparaissent à raison de 3 % en moyenne par an, avalées par le progrès. « Si on veut séquestrer le carbone, il faut que la terre fourmille de vie », glisse François en plongeant les mains dans une terre sillonnée et aérée par les insectes.
Une ode au vivant et aux pionniers de demain, qui se sentent encore bien seuls pour l’instant. humuslefilm.com, lesbontes.org
Aimé Mangez local 2 !, de Julie Aubé. Si vous n’avez pas le premier tome, procurez-le-vous ! Le second mise beaucoup sur les recettes (60) et nous aide à cuisiner les surplus et à engranger les trésors « du temps des semis au temps des grâces ». Je ferai la salade César au kale (sans bacon) en fin de semaine. Et j’adore les conseils anti-gaspi de Julie, comme les pickles avec les tiges de fenouil. La mise en pot des légumes et fruits passagers est au coeur de ce nouvel indispensable vitaminé. bit.ly/3ahivxB
Adoré le documentaire La famille de la forêt, cette famille belge — Gérard Mathar et Catherine Jacob — qui s’est installée en Gaspésie il y a 15 ans et qui vit en autonomie alimentaire avec ses trois ados/adultes tout en exploitant son entreprise, Gaspésie sauvage, qui fait de la cueillette sauvage raisonnée. Je les ai trouvés inspirants et à contre-courant. Il serait intéressant d’y retourner dans 20 ans pour voir ce que les trois garçons ont fait de ce projet familial et intergénérationnel. Disponible sur TV5Unis. bit.ly/3x7miGZ
Aussi, à la même antenne, C’est plus qu’un jardin, saison 2, avec Jean-Martin Fortier qui conseille Emmanuel Bilodeau et Édith Cochrane (et d’autres courageux maraîchers). Le couple de comédiens poursuit son aventure et installe un potager et un jardin de simples dans sa cour en ville. Totalement ludique, familial et instructif. bit.ly/3GFhThy
Lu « Le bio et son coût » dans la dernière livraison du magazine Caribou, consacrée à l’argent dans le monde agroalimentaire. « Pour que les gens puissent se payer des légumes bios à bon prix, on accepte tous de vivre sous le seuil de la pauvreté », avance la maraîchère Laurence Harnois, de Dunham. À l’heure où les prix du « conventionnel » explosent et ceux du bio baissent (malgré une forte demande), on fait le point sur le coût de nos aliments. La grosse base ! bit.ly/3t90YOV