Torturer l’histoire
Tiens, il me vient soudainement le goût de produire un documentaire. J’y ferais la démonstration qu’avant le référendum de 1995, le nationalisme québécois était étroit, xénophobe. Qu’après, il devint moderne, attentif aux minorités. Les faits seront vrais, je le jure. Mais le tri que j’en ferai, le poids relatif que je leur donnerai, la sélection et le montage des entrevues seront complètement assujettis à ma thèse. Je commence.
La noirceur. Dès sa création, le Parti québécois se distingua par une rhétorique revancharde. Son chef, René Lévesque, utilisa d’emblée l’expression ethnique « nous autres » et n’arrêta pas de dénoncer comme « Rhodésiens » les citoyens anglophones. Il stigmatisait l’immigration, à qui il attribuait la « noyade » des Québécois. Lévesque avait choisi pour l’appuyer un intello maudit, Camille Laurin, qui affirmait vouloir que « le Québec soit aussi français que l’Ontario est anglais ». Sachant que l’homogénéité linguistique de l’Ontario découle de l’interdiction, un temps, de l’école française, on mesure la cruauté du projet.
Terrorisés, des Italo-Montréalais résistèrent jusqu’à l’émeute à la volonté d’obliger leurs enfants à à être éduqués en français, langue des perdentes. Les congrès juif, italien et grec s’unirent pour s’opposer au joug péquiste, appelant les leurs à voter massivement pour la liberté et contre l’oppression. Nos concitoyens juifs avaient des raisons supplémentaires de craindre pour leur bien-être. « Ne vous y trompez pas, ces bâtards veulent nous tuer », leur révéla en 1976 un de leurs leaders, Charles Bronfman.
Mordecai Richler, fin connaisseur du Québec même s’il n’en parlait pas la langue, annonça aux États-Unis que le chant péquiste était la traduction d’un hymne nazi. Ces inquiétudes étaient fondées. L’infâme loi 101, en 1977, arracha aux futurs immigrants le droit de choisir l’école anglaise. Dans l’affichage commercial, ce fut la totale : le français, seul, devait être vu. Toutes les autres langues furent traquées par la « language police ». Lévesque allait d’ailleurs donner une place de choix à une statue de Maurice Duplessis, incarnation du nationalisme conservateur.
La lumière. La génération suivante de chefs indépendantistes tourna le dos à cette grande noirceur. Il fallait d’abord établir l’harmonie avec la minorité historique du Québec, anglophone. Jacques Parizeau, anglophile diplômé de la London School of Economics, s’y attela avec fougue. « L’anglais est la lingua franca nouvelle, dit-il. Il faut qu’on en favorise l’acquisition. » Il promit de « botter le derrière » de ses ministres non bilingues.
Avec l’aide d’une députée d’ascendance irlandaise, Jeanne Blackburn, il fit inscrire les droits des anglos dans le programme péquiste. Parizeau inséra ensuite dans sa loi référendaire davantage de droits pour les anglos dans un Québec souverain que les francophones n’en ont au Canada, ainsi qu’un droit de veto sur tout changement les concernant.
Il ne fut plus jamais question de Rhodésiens, de noyade ou de bannir l’anglais des affiches. Lucien Bouchard alla réitérer cette volonté lors d’un discours historique au Centaur, Pauline Marois brisa un tabou en nommant un de ses ministres spécifiquement responsable du dialogue avec les anglos.
La seconde tâche d’ouverture concernait les peuples autochtones. C’est Bernard Landry qui frappa le plus fort, signant avec les Cris une « Paix des braves » que le chef cri Ted Moses cita comme un exemple exceptionnel de concorde. Landry signa aussi avec les Inuits une entente qui ouvrait la porte à leur gouvernement autonome. Le PQ fit élire le premier député autochtone de l’histoire moderne du Québec.
L’après-1995 vit aussi se multiplier les gestes d’ouverture envers les Québécois issus de l’immigration. L’Uruguayen d’origine Joseph Facal ne devint rien moins que président du Conseil du trésor. Le Camerounais d’origine Maka Kotto, ministre de la Culture. Une Cambodgienne d’origine devint vice-présidente du PQ en même temps qu’un économiste né au Gabon était président.
Surtout, une nouvelle exceptionnelle alliance s’est formée entre les féministes du PQ et un groupe de 150 femmes immigrantes d’Afrique du Nord. Québécoises de souche et d’adoption ont fait avancer le Québec vers une plus grande laïcité en militant de concert contre l’affichage de signes misogynes chez les employés de l’État.
Fin du documentaire sur les images de leur manifestation commune, dite « des Janette », symbole de la nouvelle ouverture du nationalisme québécois moderne.
Trêve de facéties. La réalité est que de Lévesque à aujourd’hui, le PQ a toujours défini la nation québécoise comme fondée sur sa majorité francophone, qui donne un cœur et un sens à son identité, souhaitant accueillir en son sein les nouveaux venus. Cette continuité identitaire fut interrompue pour une période de 12 ans, depuis le soir du discours de Jacques Parizeau sur « des votes ethniques » jusqu’en 2007. Ce discours tragique, pour M. Parizeau et pour nous, mit sur ces questions le PQ sur la défensive et le rendit vulnérable aux accusations de repli sur soi qu’il avait de tout temps essuyées. S’ensuivit une dénationalisation du projet d’indépendance, une perte, donc, de la raison forte qui fondait son existence.
Les discours révisionnistes en vogue sont nostalgiques du moment où le nationalisme était honteux et en voie de devenir un clone québécois du trudeauisme postnational canadien.
Heureusement, avec le discours sur le « Nous inclusif » de Pauline Marois en 2007, le nationalisme a repris pied. Il est redevenu lui-même. Il a défendu la laïcité et les femmes, avant, pendant et après cette période. Il fut sans arrêt précurseur envers les Premières Nations et a sans fléchir défendu les droits historiques des anglos. Il a même repris, récemment, la doctrine de la « convergence culturelle » inventée par Laurin.
C’est qu’il est à nouveau certain de ce pour quoi il se bat : pour une nation singulière, sa langue, son histoire, sa culture, enfin sortie de sa période honteuse, et qui, malgré les quolibets incessants, ne s’excuse plus d’exister.
jflisee@ledevoir.com / blogue : jflisee.org