Mercure rétrograde

Il y a eu une tempête de grêlons sur ma terrasse samedi dernier. Je crois que Mercure rétrogradait en derecho. Mon B a saigné du nez le même jour. Il m’a envoyé la photo, de l’hémoglobine partout. Une scène de crime, Mercure « dans sa semaine ». De mon côté, c’était un déluge solide, la colère des dieux. Je lui ai renvoyé une photo des cubes de glace (entre la bille et le cochonnet) qu’on aurait pu mettre dans le ginto-derecho. J’aime ce mot, même si Antidote ne le connaît pas. Ça veut dire « droit » en espagnol. Le monde va tout croche, pas juste Mercure, mais y’a encore des choses qui vont derecho, comme la météo. Si vous cherchiez la note de service, on vient de la recevoir par la voie des airs : derecho dans le mur. Je n’ai rien compris à la définition sur Wiki : « De fortes contributions dynamiques et thermodynamiques favorisent la formation de derechos, et l’instabilité qui en résulte doit se maintenir afin de conserver l’état du système. » J’ai cru qu’on parlait du capitalisme.
Tiens, la bêtise humaine, c’est un derecho avec des pointes à 150 km/h. Et dire que vous vous étiez ennuyés de vos collègues de bureau. C’est bien pour dire. J’imagine que c’est pour échanger ce genre d’anecdotes autour de la machine à café :
– Hey ! Tu ne sauras jamais ce qu’on a trouvé dans la chute à déchets de mon nouvel immeuble à L’Île-des-Sœurs !
– Quoi ? La biographie de Stephen Harper écrite par Jean Charest ? Ou l’inverse ?
– Non ! Une planche à repasser ! Ça a tout bloqué. Et la semaine dernière, les administrateurs nous ont envoyé un avis pour avertir les propriétaires que les corridors et les ascenseurs n’étaient pas prévus pour les besoins de nos chiens… Ils ont oublié de dire que les balcons non plus.
– C’est donc ben white trash, L’Île-des-Sœurs ! Je croyais que c’était le Westmount de Verdun ?
– Ouin. C’est surtout wannabe. On a même un gardien de sécurité à l’entrée, mais en fait, je pense que c’est un gardien d’asile. L’autre jour, le concierge a dû débrancher un « dude » qui avait utilisé une prise de 110 volts de l’immeuble pour recharger son auto électrique. Peut-être le même idiot-moteur qui s’amuse à jouer du marteau pis de la perceuse à deux heures du matin en haut de chez nous. J’ai pas dormi depuis deux nuits. Ça, pis les alertes Amber. La société, pu capab’, man !
– On ne choisit pas ses voisins, c’est comme la famille… y’en a qui n’ont pas la lumière à tous les étages.
#Lesgens sont étonnants
Ah, #lesgens ! Les autres, bien sûr. Capables du meilleur et du pire, comme on dit. Consternants d’incohérence, d’ego meurtri et vengeur, d’ignorance crasse à deux doigts de Google, de mesquineries et de grandeur d’âme, d’empathie et de largesses. Étonnant que tout cela puisse coexister de façon assez anarchiste à la même adresse.
Nous sommes des bipèdes dépourvus d’ailes, écrit Pierre Morency dans son énumération sur les gens Chez les deux pieds sans plumes, parue l’automne dernier. J’ai adoré ce petit livre que je vais relire et conserver pas loin, comme un chapelet poétique de gens plus ou moins fréquentables. Comme un garde-folle. #lesgens
« Les gens. Qu’est-ce qu’ils font les gens ? Eh bien ma foi, ils passent. […] De parking ils passent de rue en route, de route en tunnel, et les voici arrivés au cœur noir du grand tunnel. Ils ont passé », écrit Morency.
C’est fabuleux de penser que #lesgens ne pensent pas qu’ils vont passer, comme un derecho, comme une coupe Longueuil. J’ai serré ma voisine Nicole Awashish dans mes bras en février avant son départ pour Mistissini, sa deuxième maison, chez les Cris. Elle partait pour revenir cet été ou à Pâques… Finalement, elle s’est envolée brusquement il y a deux semaines. Elle m’a écrit fin avril : « Toute notre vie, on explore les meilleurs endroits où vivre pour répondre à nos aspirations, à nos besoins, et surtout nous faire rêver et découvrir. Me voici au moment où je dois décider quel endroit serait le plus approprié pour quitter ce monde tout en respectant les miens. »
Ils passent, les gens. Je passe avec eux, je passe avec elles, je me prépare à migrer dans un autre moment de ma vie.
Je suis allée lui rendre hommage au bord de son étang un matin. Sept chevreuils m’observaient. Nicole disait qu’on habitait chez eux même s’ils dévoraient ses fleurs. Ma voisine n’est jamais revenue leur faire ses adieux.
Un don à la Société du silence
Bien sûr, on pourrait donner à la Société canadienne du cancer, mais je préfère le faire à la Société de la prévention. On pourrait aussi aller ailleurs, comme dans la nécro de Jacques Duchastel (Le Devoir, 21-22 mai). Sa fille, Julia, a si joliment écrit : « Au lieu des fleurs et des dons, nous souhaitons que vous preniez une heure de votre temps pour faire une bonne action, parler à quelqu’un qui en a besoin, faire un tour dans un CHSLD ou une aile psychiatrique, donner des trucs ou des conseils aux nouveaux arrivants qui fuient des conflits. Et avoir une pensée pour Jacques Duchastel. Paix à son âme. »
J’ai trouvé que c’était de l’humanité à son meilleur, cette posologie finale. Et puis, la citation des Beatles qui venait avec l’avis de décès de ce Jacques (à 67 ans pile, le jour de sa naissance) : « Half of what I say is meaningless. But I say it just to reach you. » (La moitié de ce que je dis n’a pas de signification profonde. Mais je le dis seulement pour que ça te rejoigne.)
C’est un peu ce que je fais aujourd’hui.
Mourir pour des idées ne les fait pas forcément avancer plus vite. Surtout quand elles sont nourries de tant de contradictions.
J’aurais pu applaudir ces ingénieurs agronomes qui ont reçu leur diplôme et dénoncé l’aveuglement du système d’éducation qui s’évertue à fabriquer notre perte. Ils se sont rebellés avec fracas le mois dernier à Paris. La vidéo est devenue virale (bit.ly/3lCT5wP). Le meilleur des #gens. J’aurais pu pleurer ces enfants qu’on assassine pour préserver une masculinité toxique ou une idée de l’Amérique cowboy érigée au bout du fusil. La vidéo est devenue virale. Le pire des #gens.
J’aurais pu vous trouver mille exemples de gens qui agissent au lieu d’ignorer qu’ils vont finir par crever, de gens qui mettent la cause avant leur petit ego et qui descendent la planche à repasser en prenant l’ascenseur. Des gens qui ont une conscience en plus d’être lucides. Et qui me donnent envie de continuer… derecho.
Instagram : josee.blanchette
Loto-Méno, la finale
Depuis hier, les femmes périménopausées et ménopausées peuvent se procurer, pas tout à fait gratuitement, mais plus facilement, des hormones bio-
identiques grâce à l’acharnement de Véronique Cloutier. Merci pour nous toutes. Si je calcule que je paie ces hormones non remboursées depuis plus d’une douzaine d’années, à 75 $ par mois, le gouvernement a économisé plus de 10 000 $ sur mon dos. J’ai bien hâte de voir combien ce gouvernement consentira en remboursement consacré à la santé des femmes. Être femme coûte cher, on le sait.
La finale de Loto-Méno, avec une rencontre du ministre Christian Dubé, est à la fois bon enfant et désespérante. Cela suinte un patriarcat désuet incarné par un ministre (sympa et compétent, par ailleurs) qui veut plaire à « Véro » et utiliser la force de sa popularité. Et on remercie également Josée, la
conjointe de M. Dubé…
Cela fait de la bonne télé et de la politique payante lorsqu’on peut atteindre 2,4 millions de femmes en âge de prendre leurs propres décisions (et de voter).
Maintenant, à quand « Véro » comme ministre de la Condition féminine ? On pourrait faire sauter les intermédiaires ?
Loto-Méno. Un an plus tard. ici.tou.tv/loto-meno
Aimé cette perle d’archives diffusée par Radio-Canada, « Est-ce que vous flirtez ? ». Mon B me l’a envoyée en la croisant sur TikTok. Cela nous a permis d’engager une conversation sur la société québécoise entre 1963 et maintenant. La candeur, la légèreté et la pudeur étonnent un jeune Montréalais de 18 ans, 60 ans plus tard. #lesgensdantan… bit.ly/3wLJzwJ. Le reportage original ici : bit.ly/39TDTZz.
Savouré de nouveau les chroniques du lundi de mon collègue du Devoir Jean-François Nadeau. Tout juste paru, son livre Sale temps porte un titre très zeitgeist. Peu de chroniqueurs peuvent se targuer d’être aussi pertinents en nous servant des écrits, dont plusieurs bonifiés, qui datent d’une ou plusieurs années. Un pied dans l’histoire, un pied dans le présent, et le regard tourné vers l’avenir, Nadeau fait du lien. L’historien-journaliste nous offre à la fois un plaisir de lecture (sa plume élégante adoubée d’un Jules-Fournier est réjouissante pour l’esprit) et un portrait fort de notre société. Sa charge inlassable contre les
inégalités, le capitalisme sauvage déshumanisé et nos incohérences trouve un écho chez moi. Merci pour l’indignation renouvelée, l’ami, mais comme l’écrit si bien Neil Young, que tu cites : « Just singing a song won’t change the world ». Tous les intellectuels savent que les révolutions passent aussi par le terrain. En attendant, nourrissons la flamme ici : bit.ly/3xaYp07.
Salué l’initiative de ces étudiants qui fabriqueront des pancartes et des banderoles au parc Laurier, dimanche, en prévision de la grande manif du 3 juin pour une justice climatique (Pour le futur Mtl, bit.ly/3MK6BLc). Certes, #lesgens sont aussi capables de rêver des révolutions.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.