Hors-jeu: Liberté 45

Jennifer Capriati et sa coéquipière de double Martina Navratilova avalent quelques gorgées d’eau lors d’une pause en bordure du court central.
Photo: Jennifer Capriati et sa coéquipière de double Martina Navratilova avalent quelques gorgées d’eau lors d’une pause en bordure du court central.

Comme il est bon de se faire rappeler, ne serait-ce que juste des fois, que ce n'est pas parce qu'on est une vieille croûte qu'on doit être immédiatement écartée du revers de la tranche lorsque vient le temps de préparer des sandwichs en triangle.

Ainsi a-t-on pu s'offrir un petit voyage dans le temps à peu de frais, hier après-midi, lorsque la grande Martina Navratilova s'est présentée sur le court central du parc Jarry pour un premier match en double dans le cadre des Internationaux de tennis du Canada dont je refuse d'écrire le nom du commanditaire par pure révolte philosophique contre la société de consommation en général et le téléphone cellulaire en particulier.

Bondance, un coup d'oeil au tableau des statistiques éternelles indique que, lorsqu'elle a remporté son premier tournoi en carrière, Martina, j'avais 11 ans. Et vous aussi, peut-être.

Cela fait tellement longtemps qu'à l'époque il n'y avait que six joueuses. Pour tout dire, Navratilova est tellement âgée que lorsqu'elle est devenue la première championne de l'histoire à Montréal, en 1980, le tournoi n'existait même pas encore. (Sérieux, pour qu'en dépit des apparences vous ne pensiez pas que je passe mon temps à débiter des fadaises, il n'est devenu officiel qu'en 1982, et on a rétroactivé.)

En fait, elle n'a que 45 ans, mais au tennis, aussi bien vous déclarer trisaïeule grabataire. Elle en avait déjà 26, et trônait au sein de l'élite mondiale, lorsque sa protégée au sein du circuit WTA — dans le cadre du programme «Partenaires pour le succès», un genre d'ISO 9002 de la raquette —, Daniela Hantuchova, est née. Tenez, pour se donner un point de comparaison, la Torontoise Maureen Drake, meilleure joueuse au Canada et 109e au monde, est la plus âgée, outre Navratilova, à prendre part au tournoi. Drake a 31 ans.

Avant-hier, après avoir perdu au premier tour contre l'Italienne Silvia Farina Elia, Drake a paru un peu agacée lorsqu'on a fait allusion à son âge en conférence de presse. «Ce n'est pas l'âge qui compte, c'est comment vous vous sentez», qu'elle a répondu. Navratilova, lorsqu'elle a fait un bref retour en simple en juin dernier, avait opposé un argument semblable à ses détracteurs: «Ce n'est pas une question d'âge, mais d'habileté.»

Ça ne fait pas l'affaire de tout le monde. Lors de ce retour en

simple au tournoi d'Eastbourne (Angleterre), Jelena Dokic, première tête de série, s'était vu reléguer au court numéro 1 pour faire place, sur le court central, au match de deuxième tour entre Navratilova et Hantuchova (remporté par cette dernière, alors 13e au classement WTA, 2-6, 6-2 et 6-2). Attribuant sa propre défaite au changement impromptu de terrain, Dokic avait qualifié l'affrontement Navratilova-Hantuchova de «ridicule».

Mais les spectateurs aiment. Hier, Navratilova a eu droit à une sacrée belle ovation à son arrivée sur le court... central, et ça s'est répété plutôt dix fois qu'une lors de ces échanges échevelés et spectaculaires que seuls permettent les doubles. Et elle se défend fichtrement bien, la dame. Il faut dire qu'elle n'a pas la dernière des partenaires venues dans ce tournoi, en l'occurrence Jennifer Capriati (3e au monde), mais toujours est-il que le duo a passé le premier tour en prenant la mesure, comme ils disent aux nouvelles du sport, des Slovaques Tina Krizan et Katarina Srebotnik en trois sets de 4-6, 6-4 et 6-4.

Et elle prend son pied, c'est plus qu'évident. Comme une gamine sur le terrain. Jouer en double, même si elle doit pratiquement changer de partenaire à chaque tournoi, c'est ce qu'elle fera d'ici la fin de la saison, et l'an prochain on verra. Une par une, comme disait Teilhard de Chardin. «Je suis heureuse dans la vie que je mène», racontait-elle hier, et croyez-moi, un point de presse avec une joueuse de 45 ans, ça nous change opportunément des rencontres avec des filles de 18 dont l'horizon se limite à la ligne de fond. «Le tennis en double, c'est un extra, alors que lorsqu'on joue en simple, on ne fait que ça, et je ne veux pas faire que ça. Je veux jouer pour le plaisir que cela m'apporte, et si je gagne de temps en temps, tant mieux.»

On en connaît, des grands, qui n'ont pas su composer avec l'absence des feux de la rampe et ont fait un retour, sur le tard, pour prouver on ne sait trop quoi à on ne sait trop qui. Ça n'a pas toujours été heureux. Navratilova, elle, qui avait déjà dit que «le crépuscule de [sa] carrière a été plus long que la carrière de bien d'autres», se balade avec le sourire fendu jusqu'aux oreilles. «Que voulez-vous, j'ai du plaisir», c'est son résumé.

Presque tous les records lui appartiennent: 167 titres en simple, 166 en double, 15 championnats la même année, 1668 matchs disputés en simple, 1454 gagnés, neuf titres à Wimbledon, dont six consécutifs, 56 titres du Grand Chelem. Plus rien à prouver. Sinon qu'elle est libre de faire ce qu'elle veut, quand elle veut.

«J'ai émigré dans un pays que j'adore [les États-Unis, elle qui est née en Tchécoslovaquie], et des gens ont dit de moi que j'avais fait défection, a-t-elle dit il y a quelques années. J'ai aimé des hommes et j'ai aimé des femmes et des gens ont dit de moi que j'étais une bisexuelle qui avait fait défection. Voulez-vous connaître un autre secret? Je suis ambidextre. Et je déteste les étiquettes. Appelez-moi simplement Martina.»

J'ajouterais: madame Martina.

Dans la série «On se cherche un traducteur, y a-t-il quelqu'un dans la salle qui parle très bien français? Et il y a un gars qui répond: "Je"», on pouvait lire hier sur le site ouèbe des Internationaux de tennis du Canada: «Lors de sa prochaine partie, Kournikova jouera l'espagnole Virginia Ruano Pascual. Les deux joueuses se sont déjà confrontées et Ruano Pascual domine à date avec 1-0.»

Où l'on constate qu'il faudrait prendre des pas afin de faire sûr que ça fait du sens, comme qu'on dit.

À la suite de la chronique de lundi, des lecteurs vigilants m'ont rappelé, avec un à-propos que n'aurait pas dédaigné Socrate lui-même en personne, que ce n'était pas Diogène, mais bien ce bon vieux Démosthène qui exerçait sa diction avec des cailloux dans la bouche. Voilà ce qui arrive quand on écrit sans filet, fût-ce au tennis. Et les encyclopédies de la Grèce antique disponibles sur la galerie de presse du parc Jarry étaient toutes prises.

Pour me racheter de vous avoir ainsi enduits d'erreur, je vous raconterai bientôt la belle odyssée de l'équipe de Sparte, qui fit un malheur en son temps en coupe Davis, écrasant tout sur son passage, y compris la formation de Crète menée par Rhodes Laver.

jdion@ledevoir.com

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