Un bilan glissant

Dans un film de propagande de 1948, il est dit que « l’honorable Maurice Duplessis a donné à sa province plus qu’elle n’a jamais reçu de tous les gouvernements libéraux réunis ». Oui, « Duplessis donne à sa province », répète-t-on.

À l’en croire, ce n’était pas l’argent du peuple que distribuait ce gouvernement, mais celui de son chef. Devant tant de générosité, les citoyens n’avaient qu’à s’incliner. Personne d’ailleurs ne leur demandait d’articuler des propositions. Reconduire leur ordinaire était tout ce qu’on leur enjoignait de faire. Ils savaient pour qui voter. Toute autre forme de prise de conscience du monde aurait été jugée déplacée.

Lors de la campagne électorale de 1956, des duplessistes prétendaient que les faits parlaient désormais tout seuls en leur faveur. Pas un mot, jamais, sur la présence d’une armée de ventriloques serviles voués à aider ces faits à chanter partout la gloire du régime.

Au temps de Duplessis et avant lui, des défunts revenaient au monde des vivants à la veille des élections. Ils apparaissaient, contre toute attente, sur des listes électorales. De tels fantômes se ruaient pour voter, comme si tout espoir d’un monde différent devait être tué au nom du passé.

Il y a quelque chose de fascinant à voir soudain apparaître, le long de nos routes déglinguées et sur nos écrans hypnotisants, des publicités décomplexées vanter le bilan d’un gouvernement à la manière d’antan, en le félicitant par exemple de sa peur de l’immigration. Hier comme aujourd’hui, l’objectif poursuivi par ce battage partisan demeure le même : voir à ce que la population se montre reconnaissante afin que l’onction de la prochaine élection reconduise les mêmes gens dans leurs fonctions.

Au Caquistan, si l’on en juge par ces publicités, la propension à s’occuper des effets plutôt que des causes apparaît courante. Pareil vice logique règne. Tandis que la société s’enfonce dans un océan gonflé par l’inflation, ce gouvernement verse ainsi 500 $ à 6,4 millions de Québécois pour leur faire oublier que l’eau monte. La mesure a beau apparaître aussi inefficace que de creuser dans le sable pour endiguer une marée, le Caquistan s’en félicite, comme il s’applaudit de donner 200 $ à 3 millions de Québécois pour combattre la pauvreté et 400 $ à ceux qui sont âgés. Mais en quoi cela conduit-il à transformer les conditions qui président à la triste situation de ces gens-là ?

Le même principe sans mordant est appliqué aux transports régionaux : des billets à 500 $ sont proposés à la suite de subventions offertes aux compagnies aériennes. Aucun changement de fond ne corrige les fondements de cette situation. Mais la CAQ donne à sa province.

Tandis que l’automobile apparaît de plus en plus comme un lourd problème, la CAQ l’érige en système. Aussi se félicite-t-elle d’avoir réduit le prix du permis de conduire. Que dire de son idée d’engouffrer 10 milliards dans un tunnel pour gagner dix minutes entre Québec et Lévis ? À lui seul, ce projet suffirait à faire de la CAQ la personnification parfaite du déni et d’une bonhomie irresponsable en matière de transport et d’écologie. Cette formidable machination du rien qu’est ce troisième lien, cette grande leçon publique de gaspillage livrée depuis quatre ans avec un aplomb indécent, pourquoi n’en parlent-ils pas dans leur bilan ?

Certains cadres du secteur parapublic continuent de toucher plus d’argent que tous les membres du Conseil des ministres réunis. Jusqu’où continuera cette gabegie ? Le Caquistan ne le sait pas. Mais il se félicite, sans vergogne, d’avoir augmenté de quelques piécettes le salaire des infirmières et des enseignantes. Il ne dit rien du fait qu’il a négocié au rabais des conventions collectives échues, qu’il a imposé des conditions de travail et, surtout, qu’il a laissé ces serviteurs de l’État être de plus en plus écrasés sous le poids d’un système bringuebalant, sans cesse au bord de l’éclatement.

Dans les centres pour personnes âgées, il est de notoriété publique, depuis des années, que les bains sont rares, la nourriture peu ragoûtante et la maltraitance une réalité. Pendant la pandémie, il est apparu au surplus que les CHSLD privés constituaient des mouroirs sans autre équivalent au Canada. La coroner chargée d’enquêter sur l’hécatombe a confirmé l’échec de ce système. Au Caquistan, on s’était déjà engagé à poursuivre dans la même direction qu’avant, en lançant la construction de plus de « maisons pour aînés », en continuant de miser sur les CHSLD. La coroner Géhane Kamel indique pourtant que ce sont des soins à domicile qu’il faudrait privilégier. Depuis les années 1970, les rapports qui invitent à suivre cette voie s’accumulent. Les quelques investissements dans les soins à domicile dont se vante le Caquistan n’ont pas changé pour autant la direction générale envisagée pour les personnes âgées, ces éternels oubliés.

Dans sa vaste opération de pétage de bretelles, la CAQ est allée jusqu’à se féliciter d’avoir adopté le projet de loi 96 sur la langue française. Pourtant, cette étape n’avait même pas encore été franchie par l’Assemblée nationale ! C’est Christine Labrie, députée de Sherbrooke, qui l’a fait remarquer. Et cette élue s’est vu traiter par le premier ministre avec une arrogance de plus en plus caractéristique de son régime.

Lors de l’élection québécoise de 2018, 34 % des électeurs inscrits n’étaient pas allés voter. De ceux qui y sont allés, seulement 37 % ont voté pour la CAQ. Cela a suffi pour que le parti récolte 60 % des sièges. Ce qui lui a donné 100 % du pouvoir. La promesse faite par la CAQ de réformer ce système tordu a vite été passée sous le tapis. Fallait-il signaler cela aussi au bilan d’un gouvernement habitué, ces dernières années, à gouverner par décrets, sans trop faire de cas de la démocratie ?

Sur la pente d’un bilan aussi glissant, il ne serait pas étonnant que le Caquistan finisse par perdre pied au moment où il s’y attend le moins. Après tout, les urnes savent aussi être funéraires.

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