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Ils étaient là, devant moi, à badiner sur le choix du prénom, Pâquerette ou Anémone, à raconter leur projet de GPA (gestation pour autrui) comme on choisit les poules de sa basse-cour, une Chantecler et une New Hampshire. Il y a la donneuse d’ovules par catalogue, puis la mère porteuse, les frais exorbitants — 200 000 $ en Ontario dans leur cas — qui servent à rembourser l’agence et les dépenses personnelles et médicales de la personne en question. Une personne altruiste et généreuse par définition, mais pas trop portée sur l’attachement, ça foutrait en l’air le « projet » des « parents commanditaires ».
Une pondeuse et une couveuse, sciemment différenciées et permettant de fragmenter la maternité à des fins de commercialisation déguisée en « don de soi ». Et quel soi ! Un nouvel être humain, qui n’est jamais une prolongation de Soi mais bien un Autre à part entière.
J’écoutais les deux hommes tergiverser sur un ou deux bébés — à ce prix, aussi bien en prendre une paire — ; j’ai assisté à la valse-fiction entourant l’embauche d’une nounou qu’il faudrait épier à l’aide d’une caméra de surveillance durant leur absence au travail…
Ce jour-là, ébranlée, je me suis plongée dans le délicat dossier des GPA et j’ai découvert un monde parallèle qui touche moins de 1 % des grossesses au Canada (les statistiques sont pauvres), mais qui est en augmentation constante, comme le prix de l’essence. La GPA répond à un désir d’enfant fort légitime, mais il y a plusieurs hics aux solutions envisagées. Et elles sont à la fois moralement, biologiquement, médicalement et éthiquement douteuses du point de vue du droit des femmes et de l’enfant.
La semaine dernière, le gouvernement de la CAQ passait au crible le projet de loi 2 portant sur la réforme du droit de la famille en matière de filiation, présenté par le ministre Simon Jolin-Barrette. Deux jours à gosser des virgules d’articles de loi en présence de l’opposition. J’ai écouté les vidéos soporifiques. Le Québec rejoindra sous peu le reste du Canada et deviendra lui aussi une terre d’accueil en matière de tourisme procréatif. Cette pratique est toujours interdite dans la plupart des pays d’Europe comme la France, l’Allemagne, l’Espagne ou l’Italie.
La GPA remet en question les fondements mêmes de la maternité. Maintenant, il peut y avoir gros-sesse sans relation sexuelle et gros-sesse sans maternité.
Black Mirror rencontre La servante écarlate
Il est difficile de s’opposer au dossier des GPA sans passer pour une réactionnaire, homophobe de surcroît. En France, on a, non sans heurts, amalgamé les deux projets : mariage gai et filiation par procréation assistée. Reste que, au sein de cette pratique, l’enfant est le grand négligé de l’affaire au nom de prouesses technologiques et d’une servitude du corps des femmes confondues avec des incubateurs dans ces grossesses plus à risque.
La sociologue et professeure émérite au Département de médecine sociale et préventive de l’Université Laval Maria De Koninck, 77 ans, a œuvré toute sa vie en santé des femmes : contraception, accouchements, césariennes, avortements. Elle a fait parvenir un mémoire sur la GPA au ministre Jolin-Barrette et à plusieurs députés en novembre dernier ; elle a aussi publié le livre Maternité dérobée. Mère porteuse et enfant sur commande en 2019.
« Il n’y a pas eu de débat au Québec. La commission parlementaire n’a reçu personne qui posait des questions de fond. C’est de l’angélisme », me dit-elle. « Au Canada, la rémunération des mères porteuses est interdite. Pourtant, les agences ont le champ libre. […] À partir du moment où nous légitimons la pratique, nous nous rendons vulnérables à la commercialisation, étape par étape », écrit la sociologue dans son mémoire de 14 pages resté lettre morte auprès de nos élus.
Quel que soit le scénario, la planification de la rupture avec la mère demeure un facteur de risque qu’il faudra justifier
La plupart des gens s’imaginent qu’une GPA est semblable à une adoption. Avec l’adoption, l’enfant est préexistant. « Non, ce n’est pas la même chose, souligne Mme De Koninck. On veut tous connaître nos origines un jour ou l’autre. » Avec la GPA, l’enfant devra donc remonter aux sources — si la donneuse et la porteuse sont initialement d’accord — non pas d’un, mais de deux utérus.
La question qui me taraude depuis le début : comment faites-vous pour expliquer sereinement à un enfant ou à un ado que ses deux mères, biologique et porteuse, ont voulu le « don » plutôt que l’abandon pour son propre bien, le fabriquer en morceaux pour faciliter la séparation, signer un contrat en son nom et en coupant le cordon avant terme ? Il y a un mot pour ça chez Shakespeare : mindfuck. Passons par-dessus des questions aussi triviales que l’attachement ou l’allaitement, même s’il y a pénurie de lait maternisé au Canada.
Relisez Dolto et faites-moi un résumé de 500 mots.
Au pays des licornes
En matière de GPA, la version sucrée (sugar coated) véhiculée demeure toujours la même, peu importe le pays : « C’est un conte de fées, fait remarquer Mme De Koninck. Tout le monde est beau et tout se passe bien. Un couple, souvent une femme infertile, désire tellement un enfant, et une personne généreuse va le leur remettre. »
Pour la sociologue, il n’y a pas photo : on ne régule pas une transaction au cœur de laquelle il y a un être humain. « Le beau discours rose nous amène sur un autre terrain ! Si on part du point de vue de l’enfant, qu’est-ce qu’on voit ? On le retire à sa mère. C’est une forme moderne de l’appropriation du corps des femmes par la procréation. Autrefois, on les mariait… »
En ce moment, partout aux États-Unis, des femmes descendent dans la rue pour conserver le contrôle sur leur corps, dont l’interruption volontaire de grossesse (IVG) fait partie et qui s’étend aussi à la pilule du lendemain.
« Chez les vieilles féministes comme moi qui ont travaillé sur les droits de reproduction des femmes, je n’en connais aucune qui trouve que la GPA est une bonne idée, avance Mme De Koninck. On ramène les femmes à un instrument durant neuf mois au regard des commanditaires. On recherche un lien génétique à tout prix avec l’enfant, mais on assiste à un recul du droit des femmes. Il faut demeurer sur nos gardes. La relève, elle est où ? »
La relève, elle regarde La servante écarlate en s’imaginant que c’est de la fiction.
JoBlog | Ventres à louer
Dans cet excellent collectif international dont le sous-titre est Une critique féministe de la GPA, on retrouve sous la plume d’universitaires, de journalistes, de militantes du droit des femmes, une même préoccupation : les dérives de l’idéologie ultralibérale dans l’industrialisation de la fertilité humaine. J’ai frémi en lisant le texte de Laura Nuño Gómez, universitaire madrilène qui parle de la commercialisation de la grossesse comme d’une « pratique lucrative émanant du néolibéralisme patriarcal qui actuellement se répand à une vitesse stupéfiante sur la planète ». Elle souligne que nous mesurons notre réussite sur la formulation de désirs et de leur satisfaction. « Le discours pro-réglementation présente un scénario où les désirs se transforment en droits, les processus biologiques en techniques, la loterie génétique en sélection génétique, les femmes en moyens, les bébés en marchandises, les classes sociales en classes génétiques […]. »
Elle établit un parallèle troublant entre proxénétisme et baby business.
Bref, ce n’est pas parce qu’on peut le faire qu’on doit le faire. Et pour une fois, l’Église catholique et les féministes couchent dans le même lit. Ventres à louer. En librairie le mercredi 25 mai. bit.ly/39z8coo
Trouvé cette phrase dans les notes du projet de loi 2 portant sur la réforme du droit de la famille en matière de filiation : « L’obligation de conclure une convention de gestation pour autrui avant le début de la grossesse ainsi que l’obligation d’obtenir, après la naissance de l’enfant, le consentement de la personne qui lui a donné naissance à ce que son lien de filiation avec l’enfant soit réputé n’avoir jamais existé et à ce qu’un tel lien de filiation soit établi à l’égard des parents d’intention. » Je répète : soit réputé n’avoir jamais existé… bit.ly/3wvUpXm
Aimé l’essai sur les GPA de Maria De Koninck, Maternité dérobée. Mère porteuse et enfant sur commande. Tous les aspects sont étudiés, mais la sociologue accorde une place de choix à l’enfant, ce grand oublié dans les débats. « Dans ce parcours, l’enfant est le grand négligé. Les discours l’objectivisent, le transforment en quelque chose que l’on souhaite “avoir”. » Elle s’attarde également aux dangers pour la santé de la mère porteuse dans cette aventure de procréation assistée hautement médicalisée. Après la lecture de ce livre, il est clair qu’il subsiste de grands flous dans cette pratique dite « altruiste ». bit.ly/3NojMkP
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