Le léger flou

On pouvait presque entendre un « ouf » de soulagement au bureau du premier ministre François Legault, lundi, quand la coroner Géhane Kamel a rendu son rapport sur le drame des CHSLD.

Dans celui qu’elle avait présenté en conclusion de son enquête sur la mort de Joyce Echaquan, certains avaient reproché à Me Kamel d’avoir outrepassé son mandat. Cette fois-ci, elle s’y est tenue de façon scrupuleuse.

Cela n’enlève rien à la pertinence de ses constats et de ses recommandations sur les améliorations à apporter au réseau de la santé, mais le gouvernement lui-même ne s’attendait sans doute pas à s’en tirer à si bon compte.

Avec un bilan aussi lourd, on ne peut certainement pas le féliciter pour sa gestion sur le plan sanitaire, de loin le pire au Canada. En revanche, sa gestion politique de la crise est un indéniable succès.

 

La victoire à l’élection partielle dans Marie-Victorin et les récents sondages traduisaient déjà le verdict de la population. Le rapport de la coroner vient en quelque sorte clore le dossier.

Les partis d’opposition ont dû se réjouir que l’Assemblée nationale soit en congé cette semaine. Cela leur donnera un peu de temps pour trouver un angle d’attaque dans le rapport de la coroner. Il y a fort à parier qu’ils ne s’y attarderont pas outre mesure.

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Malgré les erreurs commises, l’impression générale qui s’en dégage est celle d’un gouvernement qui a fait son possible après avoir hérité d’un réseau que la négligence de ses prédécesseurs avait laissé dans un état qui ne lui permettait pas d’affronter la pandémie avec succès.

Que ce soit en raison du manque de personnel attribuable à des « considérations budgétaires historiques », de la lourdeur des structures que sont les CISSS et les CIUSSS, de l’impossibilité d’obtenir les données qui auraient permis une gestion en temps réel ou encore du « double chapeau » du directeur national de santé publique, il lui est possible de jeter le blâme sur « l’ancien gouvernement ».

M. Legault doit quand même s’en vouloir un peu d’avoir précipité l’annonce du départ de la ministre responsable des Aînés, Marguerite Blais, qui, à en croire la coroner, était la seule à avoir le pas, mais qui prêchait dans le désert, quand elle dénonçait le transfert massif de personnes âgées hospitalisées vers les CHSLD.

Me Kamel n’a pas été troublée par les versions successives et contradictoires qu’elle a livrées au fil des mois. Son témoignage a été le « plus crédible », a-t-elle jugé. Mieux encore, elle lui a adressé ses félicitations, soulignant que « l’apport de la ministre et de sa sous-ministre est indéniable ». Après avoir été clouée au pilori, cette réhabilitation lui rendra certainement la retraite plus douce.

Puisqu’il fallait bien trouver un ou une coupable, la p.-d.g. du CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal, Lynne McVey, était toute désignée et elle a eu le bon goût d’annoncer son départ avant d’être exécutée sur la place publique. Non seulement son équipe a été au-dessous de tout dans le désastre du CHSLD Herron, mais sa tentative d’en faire porter l’entière responsabilité aux propriétaires de l’établissement était un geste que la coroner a eu l’indulgence de qualifier seulement de « disgracieux ».

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C’est dans ses remarques sur le comportement du Dr Horacio Arruda que Me Kamel a évoqué le « léger flou » qui entoure la période allant de janvier au 12 mars 2020, quand « tous les signaux étaient présents, mais n’ont pas été pris en compte ».

Il est vrai que les explications de M. Arruda sur ses activités durant les semaines qui ont précédé l’éclatement de la pandémie n’ont jamais été très claires. Il demeure toujours aussi troublant qu’il ait choisi de prendre des vacances à un tel moment.

Le mandat de la coroner était circonscrit aux CHSLD et aux résidences privées pour aînés (RPA), mais ce « léger flou » peut très bien s’appliquer à l’ensemble du réseau de la santé durant la même période.

À ce jour, l’impression demeure que l’alerte a été donnée beaucoup trop tard pour que les précautions nécessaires soient prises. Il demeure sidérant que le premier ministre Legault ait été informé seulement le 9 mars de la fureur de la tempête qui s’annonçait.

Il faudra sans doute faire son deuil d’une explication satisfaisante. Il est clair depuis longtemps qu’il n’y aura pas d’enquête publique, parce que le gouvernement n’a jamais senti que la population en exigeait une. Loin d’ajouter à la pression, la coroner l’a simplement « invité » à faire une « rétrospective » des événements par « le véhicule qu’il jugera approprié ». Un obscur « comité de suivi » fera l’affaire.

En réalité, tout le monde a hâte de tourner la page. On demande seulement au gouvernement de faire en sorte d’être prêt à affronter la prochaine tempête.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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