Des langues et des choix

Tout le monde en parlait, cet hiver. Fin février, le rappeur anichinabé Samian s’est retrouvé exclu du Festival international de la chanson de Granby, parce que sa performance se serait déroulée majoritairement en anichinabémowin. Le festival, qui promeut la chanson francophone depuis plus de 50 ans, a refusé de faire une exception et de permettre un spectacle en langue autochtone.

Le festival avait indiqué être « sincèrement désolé de la tournure des événements », mais le mal était fait. À Tout le monde en parle, Samian avait dénoncé une mentalité « colonialiste », qui considère les langues autochtones comme une menace pour le français. Les messages de soutien avaient alors fusé d’un peu partout au Québec. Oui, il faut protéger le français, disait-on. Mais pas en nuisant aux langues autochtones ni à l’autodétermination des peuples. En matière de relations publiques, le Festival de Granby avait de toute évidence perdu la manche.

En me rappelant comment le message de Samian avait été entendu, il y a à peine quelques mois, je me dis qu’une bonne partie de la population serait aussi prête à écouter les critiques que de nombreux leaders autochtones font du projet de loi 96 depuis son dépôt par le gouvernement du Québec.

Mardi, à l’Assemblée nationale, plusieurs chefs ont réitéré leur inquiétude face à cette nouvelle politique linguistique, qui aurait de nombreuses implications pour les Premières Nations et les Inuits au Québec. Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL), a dit craindre que l’adoption du projet loi 96 force « l’exode de nos étudiants vers d’autres avenues, d’autres écoles à l’extérieur du Québec ». Il a ajouté qu’il trouvait « d’une ironie renversante que, finalement, les premiers occupants du territoire au Québec soient forcés d’aller étudier à l’extérieur de leur territoire ».

M. Picard fait ici référence aux nouvelles exigences de cours de français au niveau collégial incluses dans le projet de loi. Ses mots sont forts, donc il est important d’expliquer leur contexte. Avec le travail des missionnaires, puis avec les pensionnats, et enfin avec le système scolaire contemporain, cela fait déjà plusieurs générations que les peuples autochtones au Québec et ailleurs au Canada se font imposer une éducation dans une ou deux langues coloniales. Les premières langues du territoire en sont donc aujourd’hui fortement menacées — certaines plus que d’autres —, et la transmission culturelle et l’existence même des peuples autochtones en tant que groupes distincts sont menacées avec elles.

Les Inuits et certaines Premières Nations, comme les Micmacs et les Mohawks, se sont surtout fait imposer l’anglais, historiquement. Le gouvernement québécois, dans sa volonté d’affirmation nationale, travaille pour asseoir le français comme langue officielle et langue commune sur son territoire. Avec le projet de loi 96, on vient donc exiger de certains étudiants autochtones la maîtrise d’une deuxième langue « étrangère » dans un système d’éducation qui refuse de faire une place sérieuse à leurs langues et à leurs cultures.

Nos écoles sont déjà perçues comme des milieux de vie aliénants par une partie de la jeunesse autochtone, ce qui contribue aux taux de réussite scolaire plus faibles de plusieurs communautés. Par conséquent, on craint d’aggraver les risques de décrochage ou d’encourager le départ de certains élèves vers les provinces limitrophes si les étudiants autochtones étaient soumis à la loi 96.

J’utilise le verbe « soumis » avec une conscience aiguë du poids de ce mot. Car c’est bien de cela qu’il est question ici : de soumission. Plusieurs journalistes et élus se demandent pourquoi on ferait tout un plat pour trois cours de français supplémentaires au collégial — ou encore pourquoi on semble vouloir défendre l’éducation en anglais, une autre langue coloniale et certainement pas autochtone. La réponse formulée par plusieurs des intervenants lors de la conférence de presse de mardi se situe ailleurs.

On refuse simplement que le gouvernement du Québec dicte la langue d’apprentissage des jeunes autochtones. On ne veut pas se faire imposer le français, ni l’anglais d’ailleurs ; on veut être libre de choisir pour soi-même. Un principe élémentaire qui va de pair avec la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones que le Canada s’est engagé à respecter dans toutes ses lois. Un principe qu’avait aussi défendu Samian, à sa manière, quand il avait dénoncé la « mentalité colonialiste » d’un festival qui cherchait à lui imposer une langue. Principe que bien des Québécois avaient alors compris.

Il est toutefois important de dire une chose : l’autodétermination des peuples autochtones et la liberté de choisir sa langue demeurent théoriques à moins que de véritables options soient offertes. Si les programmes d’étude de niveau postsecondaires en langues autochtones n’existent à peu près pas au Québec, est-ce que le jeune micmac ou mohawk fait vraiment le « choix » de l’anglais au cégep ou à l’université ? Est-ce qu’une ado huronne ou abénaquise, dont la langue ancestrale est particulièrement menacée, fait le « choix » d’une éducation en français dès le primaire ?

Bien sûr que non. Pour que les jeunes autochtones soient véritablement libres d’apprendre leur propre langue, en plus du français, de l’anglais ou de toute autre langue, il faut une revitalisation des langues autochtones, dont les défis et les avancées varient largement d’une communauté à l’autre. Et cette revitalisation ne peut pas non plus être imposée par un gouvernement qui voudrait unilatéralement « sauver » les premières langues du territoire. L’autonomie et le respect mutuel sont ici les clés du succès.

Pour avancer et se comprendre, le dialogue et l’écoute sont nécessaires. Si le projet de loi 96 est adopté comme tel, alors que les amendements de l’APNQL ont été balayés du revers de la main par le gouvernement, il sera désormais encore plus difficile de s’entendre, malheureusement.

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