La galère des mères

L’image projetée de la mère parfaite ne tient parfois que l’espace de quelques minutes dans une journée. Ici, Julie (Laure Calamy) galère pour élever seule ses deux enfants dans le film «À plein temps», d’Éric Gravel.
Photo: Axia Films L’image projetée de la mère parfaite ne tient parfois que l’espace de quelques minutes dans une journée. Ici, Julie (Laure Calamy) galère pour élever seule ses deux enfants dans le film «À plein temps», d’Éric Gravel.

On ne t’avait pas prévenue à quel point ce serait ardu, un cardiopoussette extrême. Normal. On tient à nos mythes. On colle à ce fantasme de mère dévouée, aimante, sacrificielle, une madone de Dollarama entrée en religion pour qui l’avortement est un acquis fragile et tabou.

Tu auras le cœur grand comme la coupole de l’oratoire 24/7 ; le patriarcat et l’Église ont toujours mis en avant cette version magnifiée de l’abnégation. Être mère, c’est inné, tu es née pour faire cette job-là, bénévolement et avec entrain. Ils l’ont dit à Radio X.

On te veut ainsi parce qu’il en a toujours été ainsi. C’est comme pour l’accouchement, on n’a pas trop éventé la mèche. De toute façon, toutes les mères du monde sont passées par là. Aussi bien répondre présente à l’instinct. Tu ne vas pas faire la chochotte.

Dépression antepartum, dépression postpartum, ce sont des statistiques déprimantes. J’ai fait l’ante, comme un avertissement. L’allaitement aussi, tu vas le découvrir (et bonjour la pression !), que ça aille ou pas, 45 à 90 minutes toutes les deux-trois heures. Et tout le « village » va te faire des guili-guili puis retourner vite fait à ses petites affaires importantes. À la naissance de mon B, un ami m’avait avertie : les enfants des autres, on s’en fout. C’était honnête.

Lorsque mes jeunes amis trentenaires se tournent vers moi pour obtenir des paroles rassurantes sur la maternité, elles (et ils) s’attendent à ce que je leur resserve les clichés resucés : « Ça change la vie, mais ce sera ta plus grande réalisation, le plus bel accomplissement que, ​il n’y a rien qui, un amour in-con-di-tion-nel, tu retrouveras tes jeans skinny et tu pourras tout faire comme un homme : la carrière, le couple, l’amour, le gym tonique, le gin tonic, les enfants parfaits et les soirées de karaoké. »

Ah oui ! Et un autre pour la route : « Ton mec restera à tes côtés contre vents et marées. »

Qui suis-je pour injecter de la bave de crapaud dans un conte de fées ? Pour souligner que tu as intérêt à ne pas être trop exigeante ? Sur rien, en fait.

Garde partagée, un idéal

 

L’inquiétude te rongera les tripes, tes joies n’auront rien de spectaculaire, le mot « survie » s’invitera peut-être dans ta vie. Plus une nuit ne sera semblable, plus un matin non plus.

Si tu t’attends à un Ave Maria en chapelle ardente à la fin du show, laisse tomber la maternité, achète-toi plutôt un bâton de hockey. Tu auras beau faire rissoler ton placenta et tirer ton lait à la main, tu vas comprendre rapidement que tout le monde se fiche que tu t’épanouisses dans ton beau « projet ». La maternité est tout sauf un projet. C’est un état antiglamour proche des montagnes russes.

« Je n’ai pas eu de fun », m’a déjà confié une mère qui n’a pas aimé le manège de sa maternité. La question du fun est très surfaite. Bride tes attentes. J’ai lu cette phrase récemment : tu ne pourras être plus heureuse que le plus malheureux de tes enfants. Tout est là, je t’assure.

Soixante-dix pour cent des mères seraient insatisfaites de leur relation amoureuse après leur premier enfant. Si tu as encore une relation, bien sûr… Tu pourrais te retrouver seule.

Ce n’était pas facile, mais je l’ai fait, parce que je suis un animal. Qui parle de victoire ? Surmonter est tout. 

 

Dans le meilleur des cas, il y a toujours la garde partagée. De plus en plus, cette formule prend du galon de façon décomplexée. J’ai des amies qui me l’enviaient en veilleuse. Aujourd’hui, tu peux carrément en faire un objectif : réussir ta séparation et te mettre aux abonnés absents une semaine sur deux.

Dans son livre Au secours ! J’ai des enfants ! (juste le titre devrait te faire peur), la journaliste Olivia Lévy le mentionne plusieurs fois. La garde partagée est maintenant perçue comme l’équilibre parfait, un idéal pour gens sollicités qui veulent goûter à la parentalité à temps partiel.

Comme je le conseille à mes jeunes amis : choisissez bien la personne avec qui vous ferez des enfants en garde partagée. « Vous resterez toujours une famille », nous avait dit un pédiatre. Un atout : savoir gérer un calendrier Excel partagé entre cinq familles, deux provinces et deux pays pour planifier les vacances d’été.

Nous commencions en janvier.

 

Sacrifice de soi

En entrevue téléphonique, j’ai fait une liste avec Olivia Lévy — mère d’un Romain et d’une Inès, préados — sur les questions qu’on devrait se poser avant : « Pourquoi veux-tu des enfants ? Es-tu prête à chambouler ta vie en entier, à te déchirer sur la conciliation travail-famille ? Tu sais que ça va coûter cher ? Tu connais le mot “renoncement” ? »

Le mot « sacrifice », lui, vient de sacré, peut-on lire dans le livre d’Olivia. Le sacré donne un sens à ce lien unique et au temps que tu y consacreras en assassinant ton FOMO (fear of missing out) intérieur. La psychologue Gene Ricaud-François, autrice de Se sacrifier, à quoi ça sert ?, souligne à Olivia qu’on vit une époque où l’on pense pouvoir tout réussir sans rien sacrifier. C’est faux, faux et faux. D’où les inévitables frustrations. Et ne parlons même pas de charge mentale (ni physique). Les mères gagnent 1,4 minute par an depuis 30 ans, si on oublie la fameuse charge mentale. Elles consacrent une heure de plus par jour que leur conjoint aux tâches ménagères, en gros, l’équivalent de 10 semaines de travail à temps plein par an. Dix !

Et je ne cesse de me demander pourquoi personne ne m’a prévenue. Pourquoi ? Si la routine tue le couple, l’arrivée des enfants le pulvérise.

Selon les experts, les femmes se sont adaptées plus rapidement aux conditions du marché du travail que les hommes aux nouvelles réalités domestiques. « La pandémie aura au moins dévoilé la face cachée de la domesticité en Zoom avec des enfants en arrière-plan, remarque Olivia. Pour que l’esprit d’entreprise change, il faut en parler. »

La surparentalité te guette si tu optes pour la compétition ou le mimétisme. Une mère célibataire raconte à Olivia : « Je le vois bien autour de moi : on brille, on accomplit, et on projette une image de famille parfaite. C’est une question de fierté, d’ego. L’apparence et la performance tout le temps, voilà ce qui compte. […] Je n’ose pas dire que ma fille n’est inscrite qu’à une seule activité. »

Te voilà prévenue. Et ne crois pas que je sois devenue a-mère. Je ne suis qu’une mère ben ordinaire qui a appris à aimer à contre-courant.

cherejoblo@ledevoir.com

Instagram : josee.blanchette

Joblog | « Nouées » et dénouée

Je voulais vous parler du très beau livre de l’écrivaine Catherine Voyer-Léger depuis un moment. Ayant adopté seule une petite fille de la DPJ, la mère célibataire nous traverse de sa lucidité. « Vous ne m’entendrez jamais dire comme si c’était la mienne. Il n’y a pas de comme. C’est mon enfant. »

Ou sur le choc de la transplantation : « On ne déplace pas un enfant pour le changer de classe sociale, on déplace un enfant parce qu’on estime qu’il n’est pas en sécurité. » Ce livre est à la fois bouleversant de vérité, traite de la propre enfance de l’autrice, de mille douleurs invisibles qui ne guérissent pas facilement, des stigmates, de la répétition ou de la réparation qui s’offre à travers la maternité.

C’est un témoignage magnifique. Et cette phrase qui résume bien l’expérience maternelle : « On est là pour tout donner. Rien ne nous est dû. » bit.ly/3w267sG

Adoré le livre Au secours ! J’ai des enfants !, d’Olivia Lévy. Cette dernière m’a affirmé que l’humour l’a sauvée tout du long. Je déposerais son bouquin d’enquête journalistique serti d’accents personnels entre les mains de tout futur parent wannabe. Et de tout parent tout court. Olivia a interviewé la crème des spécialistes au sujet de notre parentalité moderne. Psys, sociologues, pédiatres, spécialiste à l’École nationale d’administration publique (ENAP) sur le partage des tâches, psychoéducatrice, psychiatre et parents. Je retiens cette remarque de la journaliste scientifique française Martine Fournier : « Il n’y a plus de grandes utopies. Avec l’effondrement des idéaux d’une société humaine plus égalitaire, la disparition des espérances d’une société meilleure, on constate que le progrès ne résout pas tout. Qu’est-ce qui reste ? Les enfants. » bit.ly/3kHfp8a

Reçu  Les supermamans, de Valérie Bidégaré, un essai sur ces mères qui veulent tout faire et qui en parlent sur leur page Facebook ou leur blogue. Même démarche, entrevues avec des experts et des témoignages, mêmes constats, performance, épuisement parental. Nous en faisons trop. Je reçois de plus en plus de ces livres de mères dépassées, comme un cri du coeur de femmes à qui on avait promis une « libération » et qu’on abandonne à leur sort. En plus, les garderies se font rares ; bonjour le désastre de la conciliation. Et bonne fête des Mères dimanche (en rappel) ! bit.ly/3vL2F6K

Lu« Ces mères “se sentent piégées, leurrées, trahies. La promesse de bonheur faite par la société ne semble pas tenue”, écrit Fabienne Sardas, rappelant que “nos sociétés patriarcales sont dans leur majorité natalistes et incitatives, faisant admettre aux femmes qu’il est dans leur nature biologique d’être mère” », dans un article du journal Le Monde sur le regret maternel, un énorme tabou. bit.ly/3OYUmfa



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