Un revenu viable malmené par l’inflation
L’inflation malmène les revenus plus que l’on peut penser.
Déjà, vendredi dernier, la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke publiait les résultats d’une étude concluant que les travailleurs au salaire minimum se seraient appauvris au Québec sans les prestations spéciales du gouvernement pour le coût de la vie.
Ainsi l’augmentation de 5,6 % du salaire minimum cette année n’aurait pas suffi à compenser l’effet de la forte inflation sur le pouvoir d’achat et du temps que mettent habituellement les programmes sociaux pour s’y ajuster. Selon la Chaire, la hausse de 0,75 $ du salaire horaire minimum, passant de 13,50 $ à 14,25 $ à partir du 1er mai, aurait mené à une augmentation du revenu disponible de toutes les principales catégories de ménages de l’ordre de 3,2 % à 4,2 %, selon les cas. Mais elle se serait quand même traduite par un recul de 0,4 %, à presque 2 %, de leur capacité de couvrir leurs besoins de base, peut-on lire dans un texte du collègue Éric Desrosiers.
Cette perte de pouvoir d’achat reflète, bien sûr, la flambée inflationniste, mais elle traduit également le décalage dans le temps de l’ajustement de la table d’imposition ainsi que de grands programmes de transferts sociaux, comme le crédit d’impôt pour solidarité ou l’allocation famille, en fonction du coût de la vie. La poussée rapide et persistante de l’inflation vient accentuer la portée de ce décalage dans le jeu de l’indexation.
Avec la prestation de 275 $ annoncée à l’automne et celle de 500 $ de mars, un ménage de deux parents avec deux enfants et travaillant 35 heures par semaine au salaire minimum a vu le taux de couverture de ses besoins de base passer de 132,2 % à 133,5 %. Pour sa part, un ménage sans enfant avec un seul revenu au salaire minimum a pu couvrir tout juste ses besoins de base (à 101,4 %), alors qu’il était sous ce seuil (97,4 %) l’an dernier. La référence retenue ici est la Mesure du panier de consommation (MPC), utilisée comme seuil officiel de la pauvreté au Canada.
Salaire décent
En reposant sur le coût des biens et des services devant composer un panier de consommation qui est jugé essentiel pour qu’une unité familiale comble ses besoins de base, cette référence se veut plutôt étroite. L’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) propose depuis plusieurs années une lecture plus élargie abordant la notion de salaire décent et arrimant le salaire minimum aux besoins plus réels des ménages calculés selon le coût de la vie et les réalités régionales.
Est comparée au salaire minimum la relative subjectivité d’un salaire décent permettant de combler des besoins de base élargis et de dégager une marge de manœuvre pour améliorer sa situation. Pour aboutir à un revenu viable faisant la démarcation entre la pauvreté et son absence, qui tient compte notamment de la présence de services publics (principalement un réseau de transport en commun), des transferts et des crédits gouvernementaux et du coût de la vie différent d’une ville à l’autre.
Son niveau correspond, grosso modo, à 60 % du revenu médian, ce dernier baromètre étant officiellement retenu dans le jeu des comparaisons internationales. En 2019, environ 10 % de la population québécoise se situait sous ou à proximité de la MPC, et 20 % sous ou à proximité du revenu viable, indique l’IRIS.
L’analyse de l’IRIS publiée ce jeudi apporte une lecture encore plus poignante des dommages causés par l’inflation. En fonction du revenu viable, les seuls bénéficiaires du crédit à l’inflation de 500 $ sont les ménages d’une personne seule habitant Montréal et Saguenay.
Les données couvrent sept grandes villes et trois types de ménage. En ne retenant que la hausse des coûts pour la nourriture, le transport et le logement, en moyenne, le revenu dit viable d’un ménage à une personne se retrouve, en 2022, en déficit de 170 $ par rapport à celui de 2021, une fois pris en compte le crédit du gouvernement Legault. (On exclut Sept-Îles du calcul de la moyenne, où l’impact du coût du transport est de loin le plus ressenti) Le déficit atteint 763 $, en moyenne, pour un ménage composé d’un adulte et d’un enfant (en excluant Saguenay et Sept-Îles pour la même raison) ; 1474 $ pour un ménage de deux adultes et deux enfants (en excluant Sept-Îles).
« On constate que sur les 21 situations prises en compte, la pression de l’inflation sur le panier de consommation du revenu viable n’est pas soulagée de la même façon par le crédit anti-inflation selon les types de ménage et le lieu où ils habitent. Les ménages qui sont dépendants de l’automobile pour le transport sont ceux qui s’en sortent le moins bien, alors que ceux qui ont accès au transport en commun pour répondre à leurs besoins en mobilité s’en sortent mieux », ajoute l’IRIS.
Reste que l’inflation et son impact sont probablement sous-estimés dans ces calculs. L’inflation telle que mesurée par l’indice des prix à la consommation (IPC) a connu une accélération en fin d’année qui a débordé à 2022. En mars, l’IPC a augmenté de 6,7 % d’une année à l’autre, en hausse d’un point de pourcentage par rapport au taux de 5,7 % enregistré en février, où l’inflation des biens atteignait 7,6 %, un taux deux fois supérieur à celui de l’inflation des services. La Banque du Canada s’attend maintenant à ce que l’inflation mesurée par l’IPC atteigne presque 6 % en moyenne durant la première moitié de 2022 et qu’il reste bien au-dessus de la fourchette de maîtrise de l’inflation tout au long de l’année.