L'impasse boursière
La nervosité règne sur les marchés boursiers. Nervosité qui se traduit par une volatilité extrême des indices. À plusieurs reprises depuis juin, le Dow Jones a fluctué en une seule journée entre 200 et 400 points, à la hausse ou à la baisse. Les montagnes russes, quoi! Le résultat net: une dégringolade de l'indice d'un peu moins de 10 000 à 8745 tout en ayant touché, au préalable, un plancher de près de 7500, tout cela en quelques mois.
Une nervosité extrême qui émane des inquiétudes quant à l'actuelle reprise économique au sud de notre frontière. Une reprise qui s'était bien amorcée au premier trimestre avec un taux de croissance annuel du PIB de 5 %. Reprise cependant au souffle assez court comme le révèle l'avancée au rythme annuel d'à peine 1,1 % du PIB au second trimestre.Ce ne fut pas la seule statistique à signaler une croissance plutôt fragile du côté américain. La production industrielle a marqué le pas en juillet. Les dépenses de construction ont glissé de 2,2 % en juin. Quant à l'indice des directeurs d'achat, il est passé de 56,2 en juin à 50,5 en juillet. Un chiffre au-dessus de 50 indique qu'il y a expansion de l'économie; sous 50, il y a contraction de celle-ci. L'indice a donc reculé au seuil critique en juillet. S'il glisse sous ce cap, un recul du PIB dans les prochains mois devient plus probable.
Et, il y a la quasi-absence de création d'emplois depuis le début de 2002. La machine américaine était capable dans les bonnes années de créer 200 000 emplois et plus par mois. Or, depuis le début de l'année, on se retrouve davantage avec une moyenne mensuelle de 30 000 emplois créés. En juillet, il s'est créé 6000 emplois au sud de notre frontière. Il n'y a pas là de quoi pavoiser ni de quoi encourager les Américains à consommer. Comme le montre d'ailleurs l'indice de confiance du consommateur qui est passé de 106,3 en juin à 97,1 en juillet.
Une confiance de toute évidence sabordée par l'effondrement des indices boursiers. Comme je l'ai souvent mentionné à mes étudiants de ma classe de placement virtuelle, la Bourse est aujourd'hui devenue l'indicateur précurseur de ce qu'elle peut elle-même provoquer: la récession. La raison: les actions occupent désormais une place tout aussi importante que celle de la propriété unifamiliale dans l'avoir des Américains. Une descente rapide et durable des indices boursiers peut avoir un effet d'appauvrissement non négligeable sur le consommateur.
Beaucoup d'indices qui laissent donc entrevoir un troisième trimestre faiblard sur le plan de la croissance économique aux États-Unis. Il se trouve même des experts pour prédire la rechute en récession de l'économie américaine d'ici à quelques trimestres.
Des experts et investisseurs nerveux et avec raison. Les faibles taux d'intérêt dans le court terme et la baisse amorcée des taux à plus long terme devraient permettre à l'économie de se maintenir à flot. Sauf que la croissance sera anémique, et ce, tant et aussi longtemps que les dépenses d'investissement des entreprises ne se redresseront pas. Une éventualité qui ne surviendra pas avant plusieurs trimestres (voire plus d'un an) alors que le taux d'utilisation de la capacité de production s'est hissé de peine et de misère au-dessus de 75 % au cours des derniers mois.
Et c'est là le dilemme auquel font face les investisseurs boursiers. D'une part une économie moribonde pendant encore plusieurs trimestres et d'autre part des indices boursiers trop élevés par rapport à la croissance potentielle du PIB (et des profits des entreprises) pour les prochaines années. Des indices trop élevés même après leur récente dégringolade.
Jeffrey Rubin, l'économiste en chef de CIBC World Market, illustre bien le degré de surévaluation des indices boursiers par rapport au PIB dans sa chronique intitulée «Ahead of the curve» publiée dans l'édition du samedi 10 août du Globe and Mail. La capitalisation boursière de tous les parquets boursiers américains n'a jamais correspondu à plus de 73 % du PIB nominal américain et en moyenne à 52 % de celui-ci entre 1950 et 1995. Or, de 1995 à 2000, les cours boursiers ont littéralement explosé au point que la capitalisation boursière globale est passée à près de 200 % du PIB américain.
Puis survînt l'éclatement de la bulle spéculative des technos qui a entraîné l'indice Dow Jones là où il est, soit à près de 8745. Or, même après cette dégringolade, la capitalisation boursière globale équivaut à un peu plus de 100 % du PIB ce qui est bien au-dessus des sommets historiques enregistrés entre 1950 et 1995. Pour ramener cette proportion aux sommets historiques de la période 1950-1995, il faudrait que les indices reculent encore de 30 % et, s'il faut que la proportion revienne vers sa moyenne historique de 52 % du PIB, de 50 %.
Telle est l'impasse à laquelle font face les investisseurs boursiers. Et, croyez-moi, ils ont de quoi être nerveux car, ce qui les attend, c'est au mieux une longue période de consolidation (un an et plus) ou, au pire, une dégringolade des cours sans précédent.
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