De Norbourg à la crypto
Quand fraude et malversations reprennent l’avant-scène… Le film Norbourg est arrivé sur les écrans sur fond de campagne publicitaire de l’Autorité des marchés financiers (AMF) mettant en garde les investisseurs contre la vulnérabilité des cryptoactifs à la fraude. De nombreuses tentatives de fraudes liées aux cryptos sont en cours, écrit l’AMF sur son site, et publie une liste noire non exhaustive de plus de 220 noms de sites et de compagnies « exerçant des activités à risque potentiellement illégales au Québec ».
On a vu la pandémie, avec ses taux d’intérêt ramenés au plancher et l’excédent d’épargne qu’elle a généré, stimuler l’arrivée d’une nouvelle génération d’investisseurs et créer un terreau fertile à une spéculation attisant l’attrait pour les cryptoactifs et embrasant l’univers des actions « mème ».
Uniquement pour les cryptomonnaies, l’AMF a déjà rappelé que la création de jetons est facilement accessible d’un point de vue technologique. Vendredi, CoinMarketCap recensait plus de 10 000 cryptomonnaies revendiquant une capitalisation boursière de 1850 milliards $US — après avoir dépassé les 3000 milliards en novembre dernier —, 60 % de cette capitalisation revenant au bitcoin et à ethereum. « Cette situation favorise ainsi la prolifération sur le Web de nombreux jetons dont les promoteurs laissent parfois miroiter des rendements faramineux issus d’un projet d’investissement. Ces jetons sont souvent disponibles à partir de plateformes décentralisées et opérant automatiquement sans intervention humaine », prévient l’AMF.
L’engouement pour l’acquisition spontanée d’actions moussées sur les réseaux sociaux à des fins de mimétisme, de solidarité ou encore d’activisme actionnarial est venu élargir le rayon d’action. « En raison de l’immensité du Web et de l’utilisation des réseaux sociaux, notamment des applications de messagerie instantanée qui permettent la mise en place de groupes privés d’échanges et de discussion, il est souvent impossible pour les régulateurs de pouvoir intervenir de façon préventive », ajoute l’Autorité.
Cet effet collatéral de la pandémie a eu pour conséquence d’accélérer un changement fondamental, déjà en cours, sous le coup des innovations technologiques et de la robotisation du marché du négoce. Il a été renforcé par un abaissement draconien, voire l’élimination des frais de transaction, généralement sans accès à des conseillers ou à des planificateurs financiers non robotisés.
Dans son Plan stratégique 2021-2025 déposé en mai 2021, l’AMF plaçait la transformation numérique au premier rang de ses orientations stratégiques et retenait que l’enracinement croissant des plateformes électroniques dans le négoce des valeurs mobilières va s’inscrire dans la durée. « Les fintechs déploient des modèles d’affaires qui procurent à leurs clients un haut niveau de personnalisation, de même qu’un accès facilité bien souvent par l’entremise d’applications mobiles », a-t-elle mis en exergue.
Cette montée en puissance s’inscrit dans un contexte de confiance accrue des consommateurs de produits et services financiers en leurs capacités. Les autorités réglementaires s’inquiètent ainsi d’une inadéquation entre l’autonomie et la vulnérabilité du petit investisseur. L’une des grandes distorsions observées dans cette famille d’investisseurs dits autonomes vient de la notion de risque, qui serait grandement diluée. La Financial Conduct Authority a déjà documenté l’émergence d’une nouvelle génération d’investisseurs pour qui la perte du capital ne fait simplement pas partie du risque.
Citant une enquête réalisée par le personnel de la Banque du Canada, le collègue Éric Desrosiers écrivait que près de la moitié des 5 % de Canadiens qui détenaient déjà des bitcoins entre 2018 et 2020 rapportaient avoir été victimes d’un effondrement de la valeur de leur placement (18 %), de la perte d’accès à leur portefeuille virtuel (14 %) ou encore de fraude (12 %). Principalement composés de jeunes hommes diplômés universitaires, ces investisseurs démontraient une compréhension du fonctionnement de cette cryptomonnaie supérieure à la moyenne, mais un niveau de connaissance financière inférieure.
Engouement certain
Il reste que l’engouement est bien réel. De la part des particuliers, mais aussi de plus en plus des entreprises. Les résultats d’une étude commandée par le cabinet de services-conseils Sage évoquent l’émergence d’une nouvelle génération de directeurs financiers davantage sensibilisés aux cryptomonnaies et au métavers. L’évolution de la technologie des paiements numériques étant ce qu’elle est, l’étude mondiale The Redefined CFO ajoute que si seulement 17 % des responsables de la finance dans les PME ont déclaré accepter présentement des transactions en cryptomonnaie, 33 % prévoient le faire à plus ou moins brève échéance. Pour l’heure, les plus grands obstacles entourant l’adoption des devises décentralisées sont les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance et la difficulté à dénicher le talent pour les gérer.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.