Xi, Poutine, ratés à l’horizon
Les temps sont difficiles pour les deux plus grands autocrates de la planète. Vladimir Poutine et Xi Jinping, enfermés dans leur sublime possession de la vérité et leurs prises de décision en solitaire, sont en butte à une réalité de terrain qui refuse de se conformer à leurs visions grandioses.
D’un côté, un peuple agressé qui refuse de se couler dans les conceptions impériales du dictateur de Moscou ; une armée de terre incapable de vraiment conquérir même un petit morceau de l’Ukraine.
Et de l’autre, une stratégie de lutte contre la pandémie, dite « Zéro COVID » qui, après avoir eu l’air de réussir, et de démontrer par les statistiques la supériorité du système socialiste chinois face à l’impuissance et la dispersion des Occidentaux, fait aujourd’hui boomerang et se referme comme un piège sur le mandarin en chef, figé dans son dogmatisme tyrannique.
Pour être appliquée de façon conséquente, la stratégie du « Zéro COVID » ne supposait pas forcément une tyrannie derrière.
La preuve pendant des mois, environ une année et demie, quelques pays pluralistes, avec une opposition qui s’oppose, une presse qui confronte, une opinion publique non unanime, ont pu, dans certaines régions du monde — et particulièrement en Asie Pacifique — appliquer cette stratégie avec un succès indéniable : Taiwan, Australie, Nouvelle-Zélande et, dans une moindre mesure, la Corée du Sud.
Il s’agissait de faire un traçage sévère, serré et si possible exhaustif de tous les cas d’infection et de leurs contacts, avec des technologies de pointe : applications de repérage géographique, etc. D’imposer aux (assez rares) personnes contaminées des mesures d’isolement obligatoires. De restreindre temporairement les libertés, tout en restant conscient et soucieux d’éviter les dérapages.
Mais dans un pays comme la Chine, on ne s’est pas embarrassé de tels scrupules. La préoccupation envers les droits individuels n’est pas venue freiner la machine. Au contraire, tout l’appareillage de l’État totalitaire, sans entraves, a été mis au service de la stratégie : reconnaissance faciale, suivi obligatoire de chaque individu par les téléphones, confinements policiers d’immeubles, de quartiers entiers, etc. Répression terrible des contrevenants, séparation des familles.
Mais voilà qu’est arrivé un certain Omicron, qui a détruit cette approche. Dans des pays comme Taiwan ou la Nouvelle-Zélande, parce qu’on avait bien compris que la donne scientifique venait de changer, on ne s’est pas accroché à tout prix. On a changé.
On a changé parce qu’on a vu alors l’envers terrible, avec les nouveaux variants, du « Zéro COVID » : l’absence d’immunité, surtout dans les cas (certains pays, pas tous) où les succès initiaux de cette stratégie d’isolement avaient fait négliger la vaccination.
Rien de tel au pays de Xi Jinping, où c’est toujours « Zéro COVID », à la vie, à la mort, foi du camarade Xi, l’infaillible Xi ! Il y a certes eu vaccination en Chine, mais avec des vaccins nationaux et inférieurs par rapport au Moderna et au Pfizer. Et pour quelques centaines de cas (chiffres officiels chinois, toujours à prendre avec des pincettes), on a mis à l’arrêt complet, depuis fin mars, une mégapole de 25 millions d’habitants comme Shanghai.
Au diable le coût économique, puisque, sous Xi Jinping, le « Zéro COVID » est devenu un dogme. Et au nom de ce dogme, Shanghai, ville riche, locomotive de la Chine, vit à l’heure de la disette, du rationnement, avec de dramatiques problèmes d’approvisionnement et de soins médicaux (hors COVID).
À Pékin comme à Moscou, un autocrate « commandant suprême » a imposé la verticalité de la décision, refusé les avis de spécialistes, semé autour de lui la terreur de déplaire et de contredire, le dogmatisme, la foi en la Vérité décrétée. La guerre n’est pas la guerre, c’est une « opération militaire spéciale ». L’Ukraine n’existe pas. « Zéro COVID », c’est aussi « zéro critique » et « zéro dissident ».
Et si les dictatures étaient plus vulnérables, moins efficaces qu’on le pensait ? Et les démocraties, moins décadentes que prévu, plus capables de s’adapter ?
François Brousseau est chroniqueur d’affaires internationales à Ici Radio-Canada. francobrousso@hotmail.com.