Marguerite Blais, jetable après usage

Après l’hécatombe survenue dans les CHSLD durant la première vague de la pandémie, personne n’imaginait un seul instant que Danielle McCann et Marguerite Blais puissent envisager de solliciter un nouveau mandat aux élections générales d’octobre prochain.

Les piètres résultats de la ministre de la Santé avaient été sanctionnés dès l’été 2020 par sa mutation à l’Enseignement supérieur, tandis que Mme Blais, responsable des Aînés, a dû prendre un congé pour épuisement professionnel.

L’une et l’autre pouvaient invoquer l’âge pour prendre une retraite que personne n’aurait regrettée, mais que tout le monde aurait comprise, et elles ne demandaient sans doute pas mieux que de s’effacer le plus discrètement possible.

Qu’elles soient visées par l’opposition n’a rien d’étonnant, mais elles n’avaient certainement pas besoin d’un coup de pied de l’âne venant de leur propre camp. Avant qu’elles aient eu le temps d’aviser leurs commettants de leurs intentions, comme le veut la coutume, des « sources gouvernementales » se sont empressées de couler la nouvelle aux médias.

Le premier ministre Legault assure que son bureau n’y est pour rien dans cette fuite, mais la coïncidence entre l’annonce de leur départ et le retour à l’avant-plan du drame des CHSLD donne la fâcheuse impression que les deux femmes ont été tout simplement sacrifiées dans l’espoir que l’opinion publique s’en satisfasse.

* * * * * 
 

M. Legault a lui-même exagéré en dénonçant une opération de « salissage » en prévision de l’élection partielle dans Marie-Victorin, mais il est vrai que l’opposition a crié abusivement au « Watergate » sur la base de courriels et d’enregistrements surdramatisés qu’on savait avoir été déjà transmis à la coroner Géhane Kamel.

Après le départ de Mme McCann, la ministre responsable des Aînés est apparue comme le maillon faible du gouvernement et s’est elle-même offerte en cible avec ses versions contradictoires de ce qui s’était passé dans les CHSLD au printemps 2020.

Dans une entrevue accordée à Radio-Canada en août 2020, elle avait soutenu qu’on n’avait pas tenu compte de ses avertissements sur le danger que présentait le transfert massif de personnes âgées des hôpitaux vers les CHSLD. Lors de sa comparution devant la coroner Kamel, en janvier dernier, elle n’en avait plus le souvenir, portant au compte de l’émotion du moment ses propos de 2020.

Elle avait pourtant eu un an pour s’en remettre quand elle s’est entretenue avec les autrices du livre 5060 (dont l’une est ma conjointe, dois-je préciser), à qui elle a expliqué les efforts qu’elle a vainement déployés pour faire cesser ces transferts, comme le réclamaient les familles inquiètes du sort de leurs vieux parents auxquels on leur refusait l’accès.

Le chef de cabinet de Mme McCann, Jonathan Valois, le confirmait : « Marguerite nous dit : “Arrêtez d’en envoyer, on n’aura pas de monde pour les soigner.” Mais sans dire qu’on ne l’écoute pas, on lui dit : “C’est beau, on va s’assurer qu’on a la main-d’œuvre nécessaire.” »

En clair, on lui disait de se mêler de ses affaires.

* * * * * 
 

On peut difficilement expliquer le trou de mémoire troublant de Mme Blais devant la coroner autrement que par une volonté d’éviter à son gouvernement d’être accusé d’avoir fait la sourde oreille à ses cris d’alarme. En guise de reconnaissance, on l’a plutôt jetée aux lions.

La politique a des règles d’airain. On peut être jeté après usage sans que personne éprouve le moindre remords, quels que soient les services rendus. Jusqu’à ce que la pandémie éclate, on se félicitait d’avoir trouvé en Danielle McCann — appelée à remplacer en catastrophe Gertrude Bourdon, qui avait préféré l’offre du PLQ — l’antithèse de Gaétan Barrette. Et dans le club de gens d’affaires auquel ressemblait la CAQ, Marguerite Blais apportait la touche d’empathie qui manquait.

En réalité, on reproche aujourd’hui à Mme Blais de ne pas s’être assurée que ses collègues faisaient leur travail. Elle n’aurait pas dû les croire quand ils lui disaient : « C’est beau, on va s’assurer qu’on a la main-d’œuvre nécessaire. »

Après que le CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal a avisé le gouvernement qu’il prenait les rênes du CHSLD privé Herron, il aurait fallu qu’elle s’enquière quotidiennement du suivi qui avait été fait. Il est évident que le CIUSSS n’a pas été à la hauteur, mais il relevait du ministère de la Santé.

Même 15 mois après le drame des CHSLD et le décès de milliers de personnes âgées dans des conditions horribles, Mme McCann refusait encore, dans une entrevue accordée aux autrices de 5060, de reconnaître que les transferts massifs avaient été une erreur.

C’est dire combien Marguerite Blais avait du mal à convaincre. Finalement, sa grande faute serait de ne pas avoir été écoutée.

À voir en vidéo