Le virus de la bêtise politique
Dès ses premiers pas à l’Assemblée nationale, on voyait bien que Catherine Dorion y serait malheureuse comme les pierres. Elle n’est ni la première ni la dernière à découvrir que cela ne lui convenait pas, mais rarement cela avait été aussi prévisible.
Il est vrai que la procédure parlementaire, la tyrannie de la majorité, l’asepsie du vocabulaire autorisé, les arrière-pensées manifestes des « amis d’en face », d’un côté comme de l’autre, peuvent devenir agaçantes, voire franchement insupportables.
Mme Dorion reproche à ces « cadres rigides, vieux et passés date », imposés aux élus, de faire obstacle aux transformations sociales, mais les gens d’affaires les plus conservateurs peuvent y être aussi allergiques que ceux qui rêvent de révolution. Le premier ministre Legault, qui voyait jadis la période de questions comme une perte de temps, a lui-même mis du temps à s’y faire.
D’autres rebelles que la députée de Taschereau ont appris à composer avec cette frustration. Amir Khadir a compris qu’il pouvait dénoncer l’injustice de façon plus efficace qu’en lançant ses souliers, et GabrielNadeau-Dubois tomberait sans doute moins sur les nerfs de M. Legault s’il avait choisi de poursuivre son action dans la rue.
On a beau se répéter l’aphorisme de Churchill que la démocratie est le pire système de gouvernement à l’exception de tous les autres — ce qu’un rapide tour d’horizon suffit à confirmer —, il y a pourtant des moments où on peut comprendre l’exaspération de Catherine Dorion, tellement les dés semblent pipés en faveur de la mauvaise foi et de la bêtise.
Un des premiers dossiers auxquels elle s’est attaquée après son élection est celui du troisième lien entre Québec et Lévis, qu’elle a comparé d’entrée de jeu à « une ligne de coke » qui ne fera qu’accroître la dépendance à l’automobile. L’image était assez inhabituelle dans l’enceinte parlementaire, mais elle avait le mérite de la clarté.
On peut comprendre que le gouvernement Legault souhaite faciliter les déplacements des banlieusards, qui ont surtout le grand mérite d’être des électeurs caquistes, mais les justifications de plus en plus abracadabrantes qu’il a fournies au fil des mois sont de nature à décourager n’importe qui.
Le ministre des Transports, François Bonnardel, en avait déjà laissé plusieurs pantois l’automne dernier en soutenant que le troisième lien serait carboneutre, mais son collègue de l’Environnement, Benoit Charette, a atteint un sommet dans l’absurdité cette semaine en déclarant que le troisième lien était « une belle façon » de contenir l’étalement urbain.
L’ancien chef de Démocratie Québec, David Lemelin, a traduit l’opinion générale en écrivant dans Le Carrefour de Québec : « S’il vous plaît, M. Charette, arrêtez ! Vraiment. Faut vraiment que l’ossature de votre menton cesse de remuer, car les sons qui émergent n’ont aucun sens. » Il suffit d’appuyer sur le bouton et ça démarre.
Que M. Charette soit le maître d’œuvre de la lutte contre les changements climatiques paraît aussi rassurant que de confier le volant du camion de pompiers à un pyromane. Maintenant qu’il a décrété l’impossibilité d’atteindre des cibles plus élevées, c’est comme s’il s’employait à semer des obstacles pour avoir raison.
Si besoin était, les deux dernières années ont démontré de façon dramatique que les virus ne connaissent pas de frontières. Ils peuvent se propager à une vitesse foudroyante et contaminer même ceux qui semblaient immunisés. Celui de la bêtise ne fait pas exception.
Honnêtement, quelqu’un pensait-il vraiment que M. Charette avait les convictions, la volonté, le courage et l’autorité morale nécessaires pour relever le défi de l’urgence climatique ? S’il avait eu ces qualités, M. Legault ne l’aurait pas nommé à ce poste.
Il est vrai qu’un ministre de l’Environnement est soumis à de formidables pressions, à l’intérieur comme à l’extérieur du gouvernement auquel il appartient. Plusieurs avaient néanmoins l’espoir — ou la naïveté de croire — que Steven Guilbeault serait à la hauteur. Manifestement, Justin Trudeau l’avait mieux jugé.
Que le champion de l’environnement en arrive à donner le feu vert au projet pétrolier Bay du Nord précisément au moment où le GIEC lançait le cri d’alarme le plus strident depuis sa création est un scénario digne d’une tragédie grecque.
Combien de jeunes et de moins jeunes y verront plutôt une farce cynique et la démonstration que les règles de la politique finissent toujours par assurer le triomphe de la bêtise, comme l’a conclu Catherine Dorion ? Comment pourrait-on les blâmer ?