De petite licorne à grand étalon
Le Québec a accompli des pas de géants ces vingt dernières années pour créer puis consolider son industrie technologique et numérique. Sa croissance depuis l’éclatement de la bulle techno en 2001 est remarquable. Un coup de barre est nécessaire pour ne pas gaspiller cet élan.
Les technos québécoises sont sans conteste un cas de verre à moitié vide et à moitié plein. Du bon côté des choses, la croissance de l’emploi dans les industries liées au numérique depuis le début du millénaire a été plus que positive. En 2001, on comptait pour l’ensemble du Canada 380 000 travailleurs spécialisés dans les technologies de l’information (TI). En 2021, le Québec à lui seul en comptait tout près de 300 000.
À l’époque, on parlait de pénurie de main-d’œuvre dans le secteur, car il manquait 3000 personnes pour pourvoir les nouveaux postes créés à l’échelle nationale. Les entreprises établies au Québec disaient en décembre dernier avoir besoin de 13 000 personnes de plus pour pourvoir des postes vacants déjà existants, avant même de parler de croissance.
Entre 1997 et 2004, on a vu la naissance du secteur québécois du jeu vidéo grâce à la première incursion de l’éditeur français Ubisoft en sol nord-américain. En 2004, le gouvernement du Québec vendait les actifs restants d’Innovatech, la principale firme d’investissement en capital-risque de la province à l’époque, pour 150 millions de dollars.
Le 16 mars dernier, iNovia Capital, un investisseur parmi les plus visibles de la douzaine de fonds en capital-risque que compte présentement la province, participait à une série de financement dans le site montréalais Talent.com qui, à elle seule, valait justement 150 millions. Investissement Québec et la Caisse de dépôt et placement du Québec en étaient eux aussi. Les deux institutions québécoises sont depuis quelques années de tous les investissements majeurs dans les technos.
Après les licornes, les étalons
Le poids du Québec dans les secteurs du jeu vidéo et de l’intelligence artificielle est énorme compte tenu de sa taille démographique. La province est pionnière jusque dans l’informatique quantique. Elle doit toutefois jouer du coude pour demeurer concurrentielle face à des rivaux étrangers très imposants comme l’Allemagne, la Chine et les États-Unis.
Malheureusement, il y a un endroit où elle n’a pas les moyens pour bien se défendre : le portefeuille. Les entreprises étrangères ont les poches profondes et ne se gênent pas pour racheter les PME québécoises les plus prometteuses avant qu’elles deviennent de plus grandes entreprises. Ou avant qu’elles n’entrent à la Bourse. Et ça, quand elles ne vont pas carrément débaucher les meilleurs professionnels en leur promettant prime d’engagement, meilleur salaire et programme de rachat d’actions pour les années suivantes…
Et c’est précisément là où les différentes stratégies québécoises échouent. Le Québec demeure une des provinces canadiennes où la création d’entreprises est la plus faible. En fait, le Québec est la province au Canada où l’on compte le plus petit nombre d’entreprises par habitant (35,3 % contre 39,7 % pour la moyenne canadienne).
La volonté du gouvernement, quand il a participé à l’émergence du jeu vidéo à Montréal, était de créer une « masse critique » de gros joueurs dans la métropole pour stimuler la création de studios montréalais. Son objectif en investissant depuis 2016 plus de 800 millions de dollars en intelligence artificielle était d’accélérer le transfert, vers de nouvelles entreprises, des fruits de la recherche universitaire.
Des représentants de ces deux secteurs s’entendent sur le besoin de passer en seconde vitesse pour cimenter durablement leur succès. Car sinon, les milliards investis dans un trop petit nombre de jeunes pousses profiteront principalement à leurs acquéreurs étrangers. Certaines de ces jeunes pousses ont atteint une grande taille assez vite pour mériter le surnom de « licornes », terme provenant de la Silicon Valley pour qualifier les start-up qui valent plus d’un milliard $US.
Toujours en banlieue de Californie, on appelle « scale-ups » ces licornes capables de confirmer leur succès et de déployer leurs ailes pour devenir une grande entreprise ou une multinationale. On n’a pas encore bien traduit cette expression en français. On en compte évidemment très peu au Québec à l’heure actuelle.
Le nom « étalon » pourrait convenir. Et mériterait de devenir, si on se fie aux gens tant dans le jeu vidéo que dans l’IA ou qu’ailleurs dans les technos, un élément central de la stratégie du Québec dans le numérique.
La province est reconnue mondialement pour sa main-d’œuvre qualifiée bon marché. Peut-être devrait-elle améliorer sa réputation à produire davantage de licornes et d’étalons…