Vide pétrolier
Le comblement d’un vide créé par un embargo à grande échelle sur les hydrocarbures russes n’apparaît pas évident. Mais entre les répercussions immédiates et l’effet de substitution à plus long terme, le cœur balance.
La question du remplacement se pose. Pour les Américains, qui ont donné l’impulsion à l’élan, le pétrole russe ne représente que 8 % des importations et 4 % de la consommation de produits pétroliers. Selon des analystes de l’industrie pétrolière, on parle d’un manque de 700 000 barils par jour (bpj). Selon des analystes de l’industrie, ce manque à gagner serait comblé aux deux tiers par des ajustements internes et au tiers par l’augmentation des expéditions du Canada qui empruntent les pipelines et les chemins de fer existants.
Mais lorsqu’il est question de remplacer un peu moins de 8 millions de bpj de pétrole et de produits raffinés, soit près de 10 % de l’offre mondiale, l’enjeu est tout autre. L’excédent de capacité actuel de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) est estimé à quelque 4 millions de bpj, dont 2 millions en provenance d’Arabie saoudite. Une OPEP qui, au demeurant, vibre fortement sous l’influence de la Russie au sein du cartel élargi.
Preuve de la complexité de l’enjeu, des manœuvres diplomatiques sont tentées auprès du président vénézuélien, Nicolás Maduro, ennemi juré des États-Unis, qui contestent sa légitimité, et proche allié de Vladimir Poutine, est-il rappelé. Cela sur fond de pourparlers avec l’Iran concernant le traité sur le nucléaire, dans le contexte où les pourparlers sont retardés par de nouvelles exigences russes et le traité, négocié plus âprement compte tenu du nouveau rapport de force que confère à l’Iran la flambée des cours pétroliers.
Côté États-Unis, The Economist cite des producteurs américains évoquant une capacité d’augmentation de 1,5 million de bpj sur une période de 18 mois qui se heurte toutefois aux distorsions dans les chaînes d’approvisionnement, lesquelles risquent de ralentir la remise en production. Et alors qu’il faut s’interroger sur un réengagement des investisseurs dans le pétrole de schiste après l’absorption de lourdes pertes dans le passé, dans un contexte de désaveu environnemental.
Quant aux réserves stratégiques des pays de l’OCDE, l’Agence internationale de l’énergie a déjà plaidé en faveur d’une ponction de 60 millions de barils. Trop peu, dit un ancien de l’Agence, qui estime plutôt qu’il faudrait puiser à coups de 120 millions de barils en plusieurs salves, au rythme de 2 millions de bpj.
Effet limité
Cela a un effet à court terme sur la Russie qui se veut plutôt contenu pour l’instant. Il faut retenir que la Chine et l’Inde ne participent pas à l’opération embargo. En outre, la plupart des acheteurs et des courtiers refusent déjà de recevoir de l’énergie russe, ce qui n’empêche pas la Russie d’écouler une partie de son pétrole sur les marchés parallèles à fort escompte. Selon les experts consultés par The Economist, 3 millions de bpj pourraient ainsi être déviés vers ces nouveaux acheteurs. Selon les données de Nestle Data reprises par la firme d’évaluation Morningstar, l’escompte consenti par rapport au Brent s’approchait des 20 $US le baril le 3 mars. Il était de 5 $US le baril avant le déclenchement de la guerre et nul au début de février.
Destruction de la demande
Il reste la portée de la flambée des cours pétroliers sur l’activité économique et sur l’inflation avec, comme ultime effet dépressif, un risque de « destruction de la demande » qui pourrait devenir réel si les prix de référence dépassent les 150 $US le baril et s’y maintiennent. Un embargo à grande échelle sur les produits pétroliers russes aurait le potentiel de pousser ce prix à 200 $US cette année, d’après le scénario de la Bank of America. Les producteurs craignent que cette contraction de la demande ne vienne accélérer le retrait des combustibles fossiles et alimenter une course aux autres énergies.
C’est l’ambitieux pari que voudrait relever l’Union européenne, Bruxelles visant une réduction des deux tiers des importations européennes de gaz russe d’ici la fin de l’année et une élimination de l’importation d’hydrocarbures russes « bien avant 2030 ».