Restaurants - Au pied de poisson
Les restaurateurs font preuve d'un incroyable dynamisme pour épater leurs clients. Certains mettent à l'accueil de splendides jeunes femmes aux jambes interminables et, en salle, quelques jeunes gens épatants, répliques d'Enrique Iglesias que nous adorons tous, bien évidemment. D'autres font appel aux meilleurs stylistes, éclairagistes, coloristes et autres spécialistes de l'atmosphère.
D'autres encore osent des mélanges qui font frémir par leur audace; se pâmer devant une fusion improbable de vanille, roquefort et poire relève de l'exploit quand on apprécie de simples gigots d'agneau aux flageolets ou thon rouge en sashimi.Martin Picard appartient à une autre catégorie de restaurateurs. Autrement plus intéressante pour qui apprécie les plaisirs de la table.
Version canadienne-française de Pantagruel, il déploie des efforts gargantuesques pour présenter des plats originaux, s'accordant autant avec la saison que, pour le bonheur des gros appétits, avec cette maladive habitude qu'il a de servir des portions gigantesques.
Il y a quelque temps déjà, il a ouvert rue Duluth son estaminet, délicatement baptisé Au pied de cochon. Un nom pareil a au moins la vertu de ne pas laisser planer de doute sur la nature de ce que l'on sert et le client n'a pas à craindre de devoir suçoter ici, le petit doigt en l'air, quelques faméliques cailles enrubannées de lamelles de daïkon imbibées de lavande.
Son menu d'hiver proposait des choses robustes — foie gras au chocolat, côte de cochon heureux et jarret d'agneau confit — susceptibles d'aider la clientèle à traverser les mois de désolantes intempéries.
Pour les beaux jours, la carte a été entièrement remaniée et adaptée aux températures quasi tropicales que nous apportent nos étés. Certains plats piliers du restaurant sont restés, comme cette merveilleuse poutine au foie gras, toute en douceur et en désarmante légèreté, ou le boudin maison, mais le reste, ah! le resteÉ
Trois magnifiques tableaux maritimes intitulés Plateau Au pied de cochon, Plateau du plateau et Plateau des plateaux, détaillés respectivement 25, 54 et 100 $.
De vrais plateaux de fruits de mer où, sur un lit de glace concassée, reposent voluptueusement crabes de roche, huîtres, bigorneaux, palourdes et crevettes.
Si la description au menu contient quelques incongruités — pourquoi annoncer par exemple quatre palourdes, deux quahog et huit myes alors qu'il s'agit dans les trois cas de palourdes? —, tous les éléments du plateau sont d'une remarquable fraîcheur et préparés par une main de maître.
Le patron a poussé la délicatesse jusqu'à engager une écailleuse qui fait profiter la clientèle de son talent professionnel.
Elle prépare donc avec doigté conques (baptisées ici lambies), moules, pétoncles et homards des plateaux de fruits de mer et garde pour elle les écailles des poissons de la section «Arrivage du jour».
Perches de mer, loquettes, sébastes sont livrés au Pied de cochon en exclusivité, le patron ayant convaincu divers pêcheurs des Îles-de-la-Madeleine de lui livrer leurs plus belles prises. Et elles sont belles, hors de tout doute.
Le sébaste dégusté l'autre soir avait été préparé avec discernement — nageoires épineuses ôtées, peau conservée afin de maintenir et de protéger la chair — et, passé sur la braise du grand four à bois meublant le restaurant, il constituait l'exemple parfait de ce que peut être un plat simple lorsqu'il est préparé avec amour.
Le poisson était servi sur une assiette qu'en d'autres pays on appelle un plat et accompagné de petits légumes bios étuvés et passés très légèrement au beurre.
Venait également un petit plat de purée de pommes de terre à la Martin Picard, c'est-à-dire montée avec force beurre, crème, huile d'olive, fromage en grains fondu et ail rôti. Un pur bonheur.
Il règne dans ce restaurant une très belle atmosphère et le caractère généreux et chaleureux du patron déteint sur le personnel puisque tout le monde, du garçon de table au sommelier en passant par le personnel de cuisine qui travaille au milieu de la salle, sympathise avec les clients qui semblent apprécier cette ambiance décontractée.
Il est vrai que lorsque cette convivialité accompagne un travail impeccablement accompli, elle constitue la clé du succès. Que cet endroit mérite hors de tout doute.
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Au pied de cochon
536, rue Duluth Est
Montréal
% (514) 281-1114
Ouvert du mardi au dimanche de 17h à minuit.
Préparez une soixantaine de dollars pour deux avant boissons, taxes et service.
La carte des vins est soignée et bien expliquée par un sommelier consciencieux.