Nos lois devant la censure de Poutine

L’agression russe à l’égard de l’Ukraine visibilise la différence entre la censure totalitaire et l’imposition démocratique de limites à la liberté d’expression. La législation russe prohibe la diffusion d’informations qui contredisent les « vérités » gouvernementales ! La loi russe rend passible de longues peines d’emprisonnement toute personne qui publie des informations contraires à la version des autorités gouvernementales. C’est une loi emblématique du côté liberticide de cet état totalitaire.

Pendant ce temps au Canada, les partis représentés à la Chambre des communes ont réclamé la suspension de la chaîne gouvernementale russe RT. Cette chaîne est accusée de diffuser de la propagande de guerre assaisonnée de propos haineux à l’endroit de la population ukrainienne. Mais au Canada, à la différence des lois de Vladimir Poutine, le gouvernement n’a pas la faculté de décréter que seules les informations conformes avec sa version de la réalité peuvent être diffusées.

Il y a toujours des limites à la liberté d’expression. Ce qui distingue une démocratie d’un régime autocratique, c’est l’existence d’un processus transparent et indépendant. Un processus pour déterminer si un propos peut, au nom de la protection de la dignité humaine ou d’autres valeurs, être supprimé ou interdit. Un processus permettant de déterminer si une limite imposée à une activité expressive est raisonnable.

Les appels au bannissement de la chaîne de télé RT à la solde de Vladimir Poutine viennent rappeler qu’il y a des circonstances où il faut se demander si un contenu doit être maintenu en ondes ou en ligne. Actuellement, cette chaîne figure sur la liste de services non canadiens approuvés. La faculté des distributeurs de la proposer à leurs abonnés est « un privilège [pouvant] être retiré », avait expliqué dans Le Devoir du 26 février le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications (CRTC).

Le CRTC tient à jour une liste des services étrangers qui peuvent, au choix des télédistributeurs, être rendus disponibles aux abonnés. La réglementation du CRTC prévoit que les télédistributeurs peuvent être appelés à retirer un service de programmation de leur offre s’il s’avère que celui-ci contrevient aux exigences énoncées dans la Loi sur la radiodiffusion. À la suite de l’invasion de l’Ukraine par l’armée de Vladimir Poutine, le CRTC a annoncé la tenue d’audiences afin de déterminer si la chaîne RT peut demeurer sur la liste des services de télé disponibles au Canada. Voilà précisément un processus public où seront examinés les arguments pouvant justifier d’interdire le service russe RT sur le territoire canadien. C’est de cette façon que la législation canadienne sur la radiodiffusion effectue le départage entre ce qui est prohibé par les lois et ce qui est protégé par la liberté d’expression.

Car différencier ce qui relève de l’expression légitime d’une position politique de ce qui constitue du propos haineux ou de la tromperie frauduleuse nécessite de considérer le contexte d’énonciation. Un tel départage procède d’une démarche fort éloignée de celle de certains groupes de pression qui peuvent trouver leur intérêt à entretenir la confusion entre le propos effectivement interdit par les lois et les propos qu’ils aimeraient voir censurés.

Lorsqu’on respecte la liberté d’expression, la décision de supprimer un contenu procède d’un examen rigoureux. Il faut qu’un juge évalue contradictoirement les arguments de ceux qui prétendent que le contenu contrevient à une règle de droit applicable au Canada. Pour garantir que seuls les contenus visés par les lois seront supprimés des espaces de diffusion, l’évaluation des propos doit se faire dans le cadre d’un processus transparent et indépendant.

À la différence de législations d’États totalitaires, c’est un examen public des contenus contestés qui peut mener au bannissement d’une chaîne de télévision. Ce qu’on reproche à la chaîne RT est examiné par le CRTC, qui entend les différents points de vues et tranche par une décision motivée.

Sur Internet aussi

 

Actuellement, le processus d’examen d’une chaîne comme RT ne vise que la distribution par le truchement des télédistributeurs comme Bell, Vidéotron, Rogers ou Cogeco. Pour être cohérente, la législation actuelle réglementant la diffusion d’émissions au Canada devrait comporter des mécanismes efficaces afin de déterminer si un service de programmation disponible sur Internet contrevient aux lois.

Voilà un autre exemple de l’urgence de mettre à niveau les lois pour qu’un juge indépendant puisse déterminer avec célérité, après avoir entendu les parties impliquées, si un contenu diffusé sur Internet contrevient aux lois. Cette mise à niveau tarde notamment parce que certains persistent à rejeter l’idée d’un processus rigoureux et public pour départager ce qui peut être disponible en ligne de ce qui doit être prohibé.

L’épisode de la suppression du service de propagande RT est un rappel qu’il existe des contenus incompatibles avec nos lois et qui ne peuvent être tolérés même sur Internet. Cela vient aussi rappeler l’urgence de se donner les moyens d’agir vite à l’égard d’informations circulant à la vitesse de la lumière. Lorsqu’on parle d’adapter les lois aux enjeux du numérique, c’est aussi de cela qu’il est question !

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