Hitler?

Parmi les manifestations parfois énormes qui, un peu partout dans le monde, ont accueilli la nouvelle de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, il y a eu bien sûr celles qui se sont déroulées en Europe, et en particulier en Allemagne (près de 500 000 personnes à Berlin selon les médias locaux), en France, en Italie, en Espagne, aux Pays-Bas, mais aussi hors d’Europe, au Japon, au Brésil…

Parmi ces pays qui ont vu leur société civile clamer ces derniers jours une opposition indignée à Vladimir Poutine et à ce qu’il représente, il y avait aussi Israël. Israël dont le gouvernement, sous la houlette de l’ex-premier ministre Benjamin Nétanyahou, s’était rapproché de Moscou, au point que Ben et Vlad étaient apparemment devenus « copains comme cochons ».

On ne sait s’il en va de même pour le nouveau premier ministre, Naftali Bennett, mais toujours est-il qu’il s’est rendu à Moscou ce week-end, apparemment avec le OK de Washington.

Parmi les manifestants de la manifestation à Tel-Aviv le 25 février, plusieurs portaient des pancartes dénonçant cette complaisance de la diplomatie israélienne envers Moscou. Mais aussi d’autres, où on pouvait lire : « Arrêtez Poutine, arrêtez la guerre ! » et « Poutine est le nouvel Hitler ! ».

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Le parallèle avec Hitler, nous y voilà. Rien de plus explosif, de plus délicat, voire de plus odieux que cette comparaison extrême.

Pour autant, la question vaut d’être posée : tient-elle la route dans le cas qui nous occupe ? C’est possible. Et d’autant plus ironique que Poutine — présenté souvent comme un froid calculateur, avec un parfait self-control et toujours trois coups d’avance — est lui-même, lorsqu’il accuse l’Ukraine, l’homme des invectives extrêmes, voire hystériques.

« Celui qui le dit, c’est lui qui l’est ? »

Il faut l’observer, lorsque, parlant des supposés « nazis » au pouvoir en Ukraine (outrance verbale inqualifiable, porteuse de violence), il prononce le mot « génocide » (GUÉ-NO-TSID en russe), avec un rictus passionné qui n’est pas feint. Cet homme croit vraiment ce qu’il dit lorsqu’il utilise ces termes pour évoquer le sort des russophones de l’Est ukrainien.

Génocide ? Où sont les fosses communes ?

Un mot en passant sur la présence, réelle mais marginale (un député sur 450 en 2019, sauf erreur), de l’ultradroite en Ukraine…

Le passé trouble de ce pays durant la Seconde Guerre mondiale — antisémitisme, des cas de collaboration avec l’envahisseur allemand — est utilisé de façon commode, opportuniste et totalement anachronique par le gouvernement russe… et par ceux qui cherchent, ici et ailleurs, à expliquer voire excuser les actions de Vladimir Poutine.

Toujours en les comparant au vil et résurgent « fascisme » ukrainien, allié, bien sûr, de l’impérialisme américain, le père de tous les maux du monde… Parenthèse fermée.

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Alors Poutine, comme Hitler ? L’élément majeur de l’idéologie nazie, c’était la volonté d’exterminer les juifs (et aussi les Tsiganes). Malgré un antisémitisme présent dans le nationalisme de droite russe qu’exprime Poutine, il ne s’agit pas de la même chose. Cet élément unique de l’Holocauste n’y est pas, ce qui relativise le parallèle.

Mais pour le reste ? Pour la phraséologie victimaire qui accuse les autres de ce qu’on fait soi-même ? Pour la politique fondée sur une rancune historique recuite, remâchée, combinée au thème de la protection des Russes et d’un rejet du droit des autres nations à avoir des pays indépendants ? Pour le discours sur les minorités d’autres pays qu’il s’agit de rattacher à soi ? Pour les pratiques annexionnistes brutales ?

Concrètement : la saisie des Sudètes, l’annexion de l’Autriche (Anschluss), au motif qu’ils étaient germanophones… c’est mutatis mutandis l’Ukraine, l’Ossétie, l’Abkhazie, la Transnistrie, terres de minorités russes « persécutées ».

La guerre de 1914 comme origine du revanchisme allemand ? L’après-guerre froide, les années 1990 comme origine du revanchisme poutinien. L’invasion de la Pologne en 1939 ? L’invasion de l’Ukraine en 2022.

Hitler blâmait systématiquement les autres pour ses malheurs, avec un complexe de persécution. « Nous sommes seuls contre tous », « nous sommes encerclés »… il y a de cela dans Poutine.

On peut aussi rappeler à quel point la communauté des affaires avait facilité la montée d’Hitler, minimisé le danger qu’il représentait. La collusion des gens d’affaires, des oligarques : élément capital du modèle Poutine.

Mais ces gens d’affaires complaisants ne sont pas uniquement russes. Beaucoup, depuis vingt ans, font des affaires en Russie, achètent du gaz et du pétrole. Ils ont contribué au trésor de guerre de Poutine, dont on voit aujourd’hui à quoi il sert.

Plus on y pense, plus les analogies avec la Seconde Guerre mondiale semblent avoir du sens. Un peuple et des dirigeants déchus, amers. Un « chef » qui émerge et qui décide un jour, pour la gloire de la Nation (ou de l’Empire déchu à restaurer) de prendre les choses en main. Nous y sommes.

François Brousseau est chroniqueur d’affaires internationales à Ici Radio-Canada. francobrousso@hotmail.com

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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