Faites un dildo, pas la guerre

L’ébéniste Diana Silva donne le cours «Comment fabriquer un dildo avec un tour à bois» aux Affûtés, un franc succès qui permet aux participants de se dégourdir les doigts.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir L’ébéniste Diana Silva donne le cours «Comment fabriquer un dildo avec un tour à bois» aux Affûtés, un franc succès qui permet aux participants de se dégourdir les doigts.

Je ne suis pas faite en bois, et passer d’une pandémie à un fond d’écran à feu et à sang a grugé tout mon capital de sérénité. Les « namasté » ne suffisent plus, je le crains.

Le slogan de la guerre du Vietnam, « Faites l’amour, pas la guerre », adapté à 2022, au célibat, aux nombreux divorces et séparations postpandémiques, à l’individualisme, au « iel », ça donnerait… « Faites un dildo, pas la guerre ». Un dildo fabriqué dans du merisier, qu’on appelle aussi cerisier sauvage, c’est poétique.

Pour me calmer les nerfs et cesser de me gruger les doigts, j’ai décidé de les occuper et me suis inscrite à un cours de tour à bois aux Affûtés. Cet organisme éducatif a pour mission de nous libérer de l’obsolescence programmée et des angoisses qu’inspirent des instruments comme la scie à chantourner ou la perceuse à colonne.

Sauf pour la pâtisserie et l’amour, je n’ai jamais été une manuelle. J’ai besoin d’être tenue par la main pour oser la quincaillerie. Ça tombe bien, Les Affûtés font tout cela, et vous repartez avec vos créations. On fournit même le sac de papier (comme à la SQDC) pour le dildo. J’ai surnommé le mien « Incognito », puis « Satan 2 » lorsque je me suis rendu compte avec horreur qu’il ressemble à un missile russe.

Comme le dit mon B, « Calmez vos spasmes ! ». L’idée ne consiste pas à entrer en compétition avec Érotim (ni avec Poutine), mais me sert de prétexte pour apprendre à manier un tour à bois. Cette étrange bête rotative, super efficace pour foutre du bran de scie partout, turbine à 3400 tours/minute, à peu près aussi vite que mon cerveau ces jours-ci.

Aux Affûtés, il y a 70 % de femmes qui suivent toutes sortes de cours, et pas que du tricot. Celui pour aménager un van (grooooos succès) est donné par une fille mécano. Tu y apprends la carrosserie, la plomberie, la menuiserie, du lourd ! Pour le cours de dildo, pardon, de tour à bois, je suis tombée sur Diana Silva, une Colombienne qui a terminé sa formation en ébénisterie dans son pays et qui l’a aussi refaite au Québec pour apprendre les termes exacts en français. L’idée du dildo, c’est d’elle : « C’est assez facile, dit-elle. J’étais down pour le faire, et ça ne me gênait pas. Ça a un succès incroyable. Je n’aurais pas pu donner ce cours en Colombie… » Les dildos et les machos latinos, ça ne colle pas trop, même à l’époxy.

Les p’tites madames sont implicitement associées aux valeurs traditionnelles que les féministes ont cherché à déconstruire dans les dernières décennies.

Fierté au programme

Diana nous insuffle la confiance nécessaire pour attaquer ce projet délicat. Qui eût cru qu’un jour, je fabriquerais un joujou sexuel dans un 2x12 pouces en bois dur (ben ouais !), sous la supervision d’une prof enceinte de huit mois, pour échapper aux rumeurs de missiles nucléaires…

Ce que l’anxiété peut nous faire faire ! J’avoue qu’au bout de trois heures de gossage avec toutes sortes de gouges et sept sortes de papier sablé, je ne pensais plus à rien et le résultat est surprenant. Disons, crédible. La douceur du bois, sa couleur brun rougeâtre, les veinures régulières, la forme oblongue appellent à la caresse.

Il fallait sceller l’ouvrage artisanal à l’huile de coco ; je l’ai oint de lubrifiant. Mais je me suis étouffée lorsqu’il a été question de le sabler entre chaque utilisation. Sabler un prépuce ? Pas question. Ce sera un « joli morceau de conversation » sur ma commode de chambre, comme disent les anglos. « Fait main, au Québec. »

Par contre, vous dire la fierté et l’assurance que j’ai développées en une seule soirée aux côtés de Diana. Ça vaut les 80 $ déboursés. Et je peux maintenant fabriquer un barreau de chaise, un hochet ou un manche de plumeau. Mes compétences manuelles sont extensibles.

Contremaîtresse de chantier

 

Mais j’ai encore des croûtes à manger. En allant souper chez Josée Robitaille, la cheffe et styliste culinaire bien connue, j’ai pu apprécier à leur juste valeur les rénos qu’elle a réalisées sur sa maison durant six mois. Il y a trois ans, elle a acheté une shoe box dans Rosemont, ajouté un étage, une terrasse, refait la cour, sectionné le garage, recreusé le sous-sol pour solidifier le tout, bref, il ne restait que la toilette pour que les 13 gars sur place puissent l’utiliser. C’est Josée qui dirigeait ces travaux d’envergure. « J’étais sur le chantier de 7 h à 20 h et je faisais tout ce que je pouvais pour aider. J’ai appris aux côtés de mon menuisier-charpentier. Je voulais récupérer et recycler le plus possible. Et je passais la balayeuse Shop-Vac chaque soir. C’est plus agréable sur un chantier propre. »

Photo: Jacques Nadeau Le Devoir La styliste culinaire Josée Robitaille à l’oeuvre sur son établi de Rosemont: «J’ai appris en le faisant.» Et elle fait presque tout!

Il faut savoir que Josée est le genre de fille qui vous mitonne une morue en chaudrée aux épinards en un rien de temps et qui va aussi à l’atelier communautaire du quartier pour réparer son sèche-cheveux. Une femme pieuvre. Un chantier de six mois où il ne reste que les quatre murs de la maison, ça ne la stressait pas plus qu’un show de cuisine à la télé.

Josée possède deux établis, un à l’intérieur, dans son sous-sol, pour les travaux d’hiver, et l’autre dans son garage. On y retrouve une centaine de sortes de vis et toutes les colles possibles. Des scies sont accrochées au mur.

La guerre. Et moi qui étais toujours puceau ! Quoi ? Se faire arracher la tête pour l’amour de l’Histoire avant même de savoir ce qu’était une femme ?

 

Le plus délicat pour cette femme d’une amabilité à toute épreuve fut peut-être de réussir à coordonner les 25 corps de métier et de congédier les deux qui lui donnaient du « Ma p’tite madame » du haut de leur escabeau.

« Ça se disait “merci” et “Je t’en prie” sur mon chantier ! On avait une excellente ambiance, et nous étions sur un pied d’égalité. On a strippé la maison au complet, remis le plancher à niveau. Ma voisine infirmière à la retraite est venue m’aider pour monter mon mur en bois recyclé dans le salon. »

Josée est capable de se faire aller sur la scie ronde, et quand elle se demande comment construire un abri pour le bois au chalet familial, elle regarde un tutoriel. « J’ai appris en le faisant. Le marteau compresseur, c’est comme un fusil. C’est tellement efficace. »

Je la crois sur parole. Sur ce, bon 8 mars à toutes. Je peux affirmer aujourd’hui que faire un dildo en merisier, c’est plus facile que de faire la guerre. Mais dans les deux cas, ça ne sert à rien.

cherejoblo@ledevoir.com

Instagram : josee.blanchette

Joblog | Un jeune homme et son temps

- Maman ? C’est grave ce qui se passe avec l’Ukraine ?

- Oui… On retient notre souffle. Je n’ai jamais ressenti une telle angoisse depuis le 11 Septembre.

- Mais là ? Ça veut dire quoi ?

- Ça veut dire que des jeunes de ton âge doivent défendre leur pays. Et des Russes de ton âge doivent attaquer leurs frères et s’en mordre les doigts. Ça veut dire que des mères pleurent, que des familles sont séparées, que des centaines de milliers de personnes sont itinérantes. La guerre rime avec la misère.

- Est-ce que je vais devoir aller à la guerre ?

- Non. Mais des soldats canadiens y vont. Hydro-Québec a relevé son niveau d’alerte, et on parle de cyberguerre. Alors, nous pouvons tous être atteints. La Russie est le troisième producteur mondial de pétrole. Cette guerre va signer ton passage à l’âge adulte. Toi et tes amis, vous ne pouvez plus être insouciants après la pandémie et ça…

- Je pensais que tu allais me rassurer et me dire de ne pas m’en faire.

- J’aimerais ça encore pouvoir te mentir. Mais là, je te dis que personne ne sait comment un seul homme peut foutre le bordel sur la planète. Et qu’un Poutine vaut bien un Trump.

- Le monde est fou, maman…

- Tiens, écoute ça, c’est une chanson de quand j’étais petite : bit.ly/3Kd8HBM.

Adoré la multitude d’ateliers proposés aux Affûtés. L’endroit existe depuis trois ans, et les possibilités de s’améliorer en rénos avec le bois, la plomberie, l’électricité, ou alors en couture, tricot, vannerie, tressage de chaise, confection de savons ou de cosmétiques, déco, sont infiniment séduisantes. S’initier à l’horticulture, réparer son vélo, fabriquer un nid douillet pour le chat, réaliser son peignoir ou un sous-plat en mosaïque : tout est possible.

La mission de l’entreprise écolo misant sur l’entraide et l’idée d’exemplarité est louable. Bref, une entreprise d’économie circulaire avec un impact social. On peut suivre les cours dans la Petite Italie ou le Village gai. Je suis accro au sentiment d’autonomisation… bit.ly/3IH4uFV

Aimé Filles corsaires, le recueil de textes de Camille Toffoli, cofondatrice de la librairie féministe L’Euguélionne. Il y a beaucoup de bon sens et d’humanisme dans ces textes qui portent sur l’amour, les luttes sociales et le karaoké.

Ça parle aussi des rôles traditionnels et de leur conformisme, de la fin du couple, du parcours obligé de la parentalité pour se réaliser comme femme, de microdosage de LSD, de la Sad Girl Theory, une figure moins triomphante et moins « modèle à suivre », mais tout aussi nécessaire dans l’imaginaire féminin. Bref, ça parle de nous. Et je me suis reconnue. editions-rm.ca/livres/filles-corsaires

 

À voir en vidéo