Deux fines mouches et un thriller

On les a trouvées inspirantes dimanche dernier à Tout le monde en parle, Hillary Rodham Clinton et Louise Penny, deux fines mouches voletant loin des toiles d’araignée. Par vidéoconférence, à l’heure d’accompagner leur thriller État de terreur, dans nos librairies cette semaine en version française, elles se révélaient complices et rieuses, détendues, pertinentes, sûres d’elles aussi. Grand coup pour TLMEP et bien du bonheur pour l’assemblée au foyer.

Elle n’aura pas fracassé le plafond de verre en devenant la première présidente des États-Unis, cette Hillary-là. Mais qu’elle est montée haut ! Première dame quand son mari, Bill Clinton, dirigeait le pays, sénatrice, secrétaire d’État sous le règne d’Obama. La dame en aura tiré, des ficelles, au cours de sa brillante carrière et esquivé ou reçu plein de coups tordus. Ils provenaient de la Maison-Blanche, de son adversaire Donald Trump ou de dirigeants étrangers dans le panier de crabes des relations internationales.

Quant à la romancière Louise Penny, le succès planétaire de ses trépidants polars, notamment sous la loupe de l’inspecteur québécois Armand Gamache, lui offre une position imprenable pour darder son œil d’aigle sur les prétentions des êtres humains de toute obédience. À l’heure de plonger dans le thriller politique, la femme de lettres canadienne, établie à Sutton, ne pouvait trouver partenaire plus au parfum des grenouillages mondiaux qu’Hillary Clinton. Leur fiction nourrie de sources sûres bondit entre Washington, Téhéran, Londres, Islamabad, Moscou et les repaires talibans, tandis que les dessous sanglants de la politique internationale partent en peur.

À l’approche du 8 mars, entendre à la télé ces deux grandes dames mûres déclarer que les femmes sont sous-estimées d’office et évaluées selon des critères différents à cause de leur sexe n’étonnait guère, tout en faisant frissonner.

Dans État de terreur, on voit l’héroïne principale, Ellen Adams, secrétaire d’État américaine, se faire toiser par ses collègues masculins, sa haute intelligence méconnue. Jugée souvent sur ses vêtements, son allure, sa ligne, ses cheveux, Hillary Clinton aura goûté à la médecine amère. « Le pouvoir, connais pas », écrivait de concert Lise Payette en racontant sa carrière de ministre entre 1976 et 1980 sous René Lévesque. Elle s’était sentie comme une étrangère dans ce bocal-là. Des décennies plus tard, de nombreuses femmes siègent désormais aux conseils des ministres, à Québec comme ailleurs. Sans enrayer le mécanisme du double standard pour autant. Clinton et Penny s’attellent donc à donner à leurs héroïnes des rôles actifs et des neurones pour mieux les jouer. Les femmes ont encore besoin de modèles, issus ou pas des générations défricheuses.

Dans leur roman, la place d’honneur dévolue aux personnages féminins est délibérée, à titre d’exemple. La secrétaire d’État, sa fille, sa conseillère et une employée des services extérieurs s’allient pour déjouer un complot terroriste contre l’Europe et les États-Unis. Parties des coins reculés du monde à la rencontre d’espions et de dirigeants aux crocs ostentatoires ou cachés, les intrépides amazones montent au front, plus éclairées que le président en exercice à la Maison-Blanche.

Non, les deux romancières n’ont pas écrit la mise en garde « Toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé serait purement fortuite… ». Et pour cause… Hautement reconnaissables sous les actions romancées, Donald Trump s’appelle Eric Dunn, plus bête et dangereux que nature, et Vladimir Poutine, Maxim Ivanov, double du terrible président russe en délire belliqueux aujourd’hui. Des bombes éclatent. L’arme nucléaire devient un enjeu crucial, maniée par des mains radicalisées. Comme ces jours-ci.

Sont renvoyés dos à dos le terrorisme intérieur de l’extrême droite américaine et celui d'al-Qaïda. Les États-Unis émergent d’un gouvernement calamiteux qui les a affaiblis sur la scène internationale. Les fake news inondent Internet en radicalisant les têtes brûlées. Un ancien correspondant à la Maison-Blanche se cache au Québec. Bienvenue en terrain familier.

Ne manque, en somme, que la pandémie au menu des chaotiques dernières années dépeintes. Dans ce suspense ficelé serré pour nous tenir en haleine, si certaines péripéties paraissent farfelues — après tout, on parle d’un thriller flambé à l’imagination de Louise Penny —, l’ombre des traquenards politiques affrontés de l’intérieur plane partout.

Comment accoucher à coup sûr d’un best-seller ? En unissant ses forces de dynamite. État de terreur est traduit partout et deviendra un film à la popularité évidente. Les deux fines mouches n’avaient plus grand-chose à prouver, mais bien des messages à lancer aux habitants de cette planète en implosion. Aux filles aussi.

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