La relâche pour les braves

Pas difficile de voir que nous sommes surstimulés en permanence.
Photo: Yuliia Lakeienko iStock Pas difficile de voir que nous sommes surstimulés en permanence.

On prétend toujours que pour vivre heureux, il faut vivre caché. Et si je peux me permettre : pour glander efficacement et sans culpabilité aussi. Dans le mot « relâche », il y a « lâche » et personne ne veut être associé au manque de courage, de vigueur ou de tonus. Oh que non ! Nous sommes si vaillants, tra-vaillants (dérivé de trepalium, un instrument de torture à trois pieux) ; il ne faudrait pas qu’on soupçonne la moindre paresse. La nonchalance de notre volonté tire-au-flanc est régulièrement mise à l’épreuve. Nous sommes si capables, tellement meilleurs (que le pays voisin), si olympiques.

Ce qui explique probablement que je n’ai pas regardé une seule fois les Jeux de Pékin ; j’ai mal pour eux. Je n’ai jamais tripé sur la culture des médailles, du dopage et des drapeaux. Cette fierté olympique ne me rejoint pas. Comme les tutoriels de maquillage ou les vidéos d’unboxing (déballage en direct). Et je ne voudrais pas être une jeune patineuse artistique russe, mettons. Vive le yoga, surtout depuis hier...

J’ai dû faire l’apologie de la lenteur, du slow (bouffe, sexe, éducation, voyages, villes) des dizaines de fois dans ces pages. Ma vie est jalonnée de refus qui m’ont permis de vivre partiellement dans la marge ; en marge de la course, de mon anxiété, du troupeau, d’une multitude d’obligations et d’une performance qui m’apparaissait bien peu rentable en regard de ce qu’elle coûte. Je ne suis pas la seule. J’ai pour compagnons et muses quelques artistes, penseurs, poètes, musiciens, philosophes et tous les enfants, sans exception, juste avant qu’on en fasse des chiens savants.

Mon B a lâché le basketball — où il excellait — à cause de l’anxiété. Les coachs le poussaient ; ils le voyaient en sport universitaire, et puis paf, il a jeté le ballon et ne l’a plus retouché après le secondaire 4. Il avait échappé le plaisir en route et les médailles ne le motivent pas. Il allait contre sa nature d’observateur. Il a suivi les préceptes d’Épicure qui enjoignait à ses élèves de vivre dans l’anonymat et de se contenter de peu.

Les enfants et les chats devraient être nos maîtres, et pas seulement durant la relâche. Ils nous enseignent à regarder le monde à l’envers, à le ralentir, comme lorsqu’on fait des anges dans la neige en observant les nuages défiler au-dessus. Ça fait un bien fou. Même sans enfant. (Et il y a de la neige !)

La rédemption s’abrite dans une petite fissure dans le continuum de la catastrophe

 

La résistance oisive

Dans son manuel d’activiste déguisé en récit de développement personnel (ou en essai décousu) Pour une résistance oisive. Ne rien faire au XXIe siècle, l’artiste pluridisciplinaire Jenny Odell nous explique d’entrée de jeu que « rien n’est plus difficile que de ne rien faire ». Ce livre vanté par l’ex-président Barack Obama traite de l’économie de l’attention et du rapt dont nous sommes l’objet depuis le Web, les réseaux sociaux et demain le métavers. Aller s’endetter en crypto dans un univers parallèle alors que tu n’arrives pas à payer ton loyer dans le réel, le rêve !

Odell envisage la résistance oisive comme un simple refus, « le refus de croire que d’une certaine manière le lieu et le temps présent, ainsi que les individus qui l’habitent avec nous, sont insuffisants ». Le « rien » qu’Odell propose est uniquement un « rien » d’un point de vue de la productivité capitaliste. Ça ne se vend ni ne s’achète. Il n’est que présence au monde.

Et elle pose une question d’artiste visuelle : « La « réalité augmentée » pourrait-elle tout simplement signifier de poser son téléphone ? Et le moment venu, que (ou qui) trouverons-nous en face de nous ? »

Embrassez-vous votre téléphone au réveil ? Je me disais aussi. Odell constate que notre attention monnayable maintenue dans un état rentable d’anxiété, de convoitise et d’inattention par les réseaux sociaux commerciaux ne perçoit plus le monde de la même façon hors connexion. « C’est bel et bien l’opinion publique que les réseaux sociaux exploitent, l’opinion publique qui n’a aucune patience à l’égard de l’ambiguïté, du contexte ou des ruptures avec la tradition. » Tant de conformisme et de mimétisme dans une sorte de monoculture idéologique.

Odell demande à ses étudiants de rester assis dehors 15 minutes sans rien faire. Un prof de gym au cégep a fait de même l’automne dernier avec la classe de mon B, dans le bois de Summit, à Westmount. Mon fils m’en a parlé comme d’une expérience mystique.

Ce qu’un petit quart d’heure peut faire dans une vie ! Pas besoin de faire comme Thoreau à Walden, de cesser de payer ses impôts ou de fonder une commune à Ham-Nord pour s’extraire de la société. Quinze minutes sur le mont Royal ! Imaginez une semaine.

Surstimulés avec une médaille

 

Pas difficile de voir que nous sommes surstimulés en permanence. Les temps morts sont morts, justement. Joli monstre est un excellent bouquin sur l’anxiété dans lequel je me suis replongée parce qu’il traite aussi de ralentissement. Sarah Wilson, une autrice engagée dans les problèmes de santé mentale,constate que « nous sommes l’image même de l’efficacité et du dynamisme, toujours en mouvement, toujours en train de faire ».

« Dans notre société, les comportements anxieux sont valorisés. Être tendu à l’extrême, énervé, agité et débordé a du cachet. […] “Oh là là ! Je suis super occupé, totalement débordé, c’est dingue !” — arboré comme une médaille. »

Les problèmes d’anxiété qui en découlent sont sanctifiés, alors que la dépression serait stigmatisée.

J’excitais mes surrénales à coups de joggings punitifs et de litres de café. Je ne pouvais pas laisser la tour s’écrouler.

 

Si Sarah Wilson nous invite à ralentir, c’est qu’elle-même souffre d’anxiété. J’aime beaucoup son livre. Et je le recommanderais à n’importe quel résident en médecine qui ne dort plus et essaie d’en faire trop parce que c’est la culture malsaine dans laquelle il baigne… jusqu’au suicide.

La posture de refus est une forme de yoga mental qui exige un certain courage. Refuser d’acheter l’auto qui va avec le power job ; refuser le code vestimentaire de ta caste ; refuser la surenchère parce qu’elle n’a pas de fin ; refuser pour mieux se dire oui.

Bref, une relâche scolaire, ça devrait servir à se faire éduquer par ses enfants plutôt que l’inverse. En réalité augmentée. Et avec pas de médaille.

cherejoblo@ledevoir.com

Instagram : josee.blanchette

Joblog | À Bain-les-Larmes, lacrymo-parentale

L’abondance des commentaires à la suite de mon texte de la semaine dernière sur le nid vide (bit.ly/3hapSqZ) étant inédite, je me permets de publier ce message de Laurence, maman de 4. Pour ceux qui ont hâte que la relâche se termine…

« Il y a dix ans, j’étais cette maman canard avec ses canetons qui parcourait l’Asie et écrivait un blogue, Les yeux débridés, tu en avais parlé dans le temps. Et là, dix ans plus tard, je suis maintenant cette maman sans mission qui tente de me trouver une autre vocation que celle d’élever des humains. Prendre soin, être là, être une maman, c’était ma job de rêve. Celle pour laquelle j’étais vraiment hot. Mon meilleur rôle à vie.

Oscarisant.

 

Pis là ? Ben, je dois trouver autre chose.

Être une maman, certes, encore, toujours,
mais de plus loin.

 

Autrement.

Exit le tourbillon de la jeunesse dans la maison.

 

Exit la vie qui va et qui vient au rythme des amis, des lifts à faire, des soupers, des épiceries de malade, des millions de choses à gérer.

C’est pas mêlant, si j’avais pu stopper le temps quand ils avaient 16-15-13 et 12 ans, pour mille ans, je l’aurais fait.

Pis, voilà, sont tous partis.

Un par un. Et le dernier, cette année. Voler de leurs propres ailes.

 

Suis fière, certes, c’était le but non ?

Mais, je suis rendue ma mère.

 

Bref.

Je suis allée voir un psy.

 

Je rénove la maison.

J’ai adopté 2 chatons.

Je fais des boutures de mes plantes.

 

Je m’organise un trek au Portugal.

C’est dull en criss pareil.

Voilà.

Je voulais juste partager avec toi en trop de mots que je te feel, comme ils disent.

 

Bisous.

Laurence »


Dévoré le livre Je ne suis pas une outarde, de Sébastien Gagnon. Ça s’adresse aux ados ou préados, il y a beaucoup de blanc entre les lignes et la narratrice, Sierra, est une ado au cégep qui préfère aller à la pêche dans le bois avec son père plutôt que jouer à Fortnite dans un sous-sol. C’est à la fois drôle et macabre. Une plume vivante dont je me suis entichée immédiatement. Idéal à offrir pour la relâche. bit.ly/3veGBl3

Adoré le segment sur la gratitude et les enfants chez Pénélope cette semaine. Comme dit le pédiatre Jean-François Chicoine, les enfants ne doivent rien à leurs parents. Il y est question d’enfants-rois, d’anhédonisme (perte du désir), de parents parfaits, de cadeaux (ou pas) et de toutes sortes de sujets durant ce segment long (j’aime la radio slow) en compagnie du pédiatre, de la comédienne Jessica Barker et de la psychologue Nadia Gagnier. Chicoine souligne aussi que les enfants ne savent plus patienter… Je dirais que certains adultes sont coupables aussi ? bit.ly/3BMKXkB

 

Savouré le dernier sketch de Marc Labrèche à L’autre midi à la table de droiteavec Mathieu Bock-Côté et Éric Zemmour. C’était dans le cadre de l’émission Cette année-là. Du grand art. Et le texte ! Je vous suggère d’apprendre le signe secret pour pimenter vos repas en famille en fin de semaine. bit.ly/3hamNap



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