Sommes-nous poches en éducation?
Il se dit une chose et son contraire, au Québec, quand vient le temps d’évaluer la qualité de notre système d’éducation. Une semaine, nous sommes formidables et, la semaine suivante, nous sommes poches. Qu’en est-il vraiment ? Ça dépend des critères retenus.
Selon les tests du Programme international pour le suivi des acquis (PISA), pilotés par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les élèves québécois de 15 ans sont parmi les meilleurs au monde et au Canada. En 2018, ils occupaient le 3e rang mondial en mathématiques, le 6e rang en lecture et le 7e rang en sciences.
Bien qu’ils jouissent d’une solide reconnaissance scientifique internationale, les tests PISA ne disent cependant pas tout. Ils mesurent essentiellement des compétences de base, et ils n’évaluent pas la culture générale. On peut, par exemple, obtenir un excellent score en lecture dans ces tests tout en n’ayant aucune culture littéraire. Il n’empêche que les résultats québécois sont réjouissants.
Pourquoi, alors, continue-t-on à entendre que notre système d’éducation est à la traîne, notamment par rapport au système ontarien ? C’est la diplomation, ici, qui est en cause. Au Québec, en 2018, 9 % des personnes de 25 à 34 ans n’avaient pas de diplôme d’études secondaires. Toutes les autres provinces canadiennes font mieux (entre 5 % et 8 %).
Est-ce une catastrophe ? Selon le démographe Simon Normandeau, il importe de relativiser cette donnée. Dans sa contribution au très instructif ouvrage collectif L’éclairage de la démographie (Presses de l’Université de Montréal, 2022), Normandeau précise que, comparé avec celui des autres pays de l’OCDE, le taux de décrochage québécois n’a rien de désastreux. « Au Danemark, en Norvège et en Suède, écrit-il, aucune région n’obtient un niveau de décrochage inférieur à celui du Québec. » Même la Finlande, souvent présentée comme le paradis de l’éducation dans le monde, ne fait pas mieux, à cet égard, que nous.
Il ne s’agit pas de conclure que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Normandeau insiste sur les avantages d’une scolarité élevée : taux d’emploi supérieur, revenu plus satisfaisant, bénéfices pour la santé, participation sociale et politique plus active, souci de l’environnement, etc. Un décrocheur est donc toujours un décrocheur de trop et, précise Normandeau sur la base des données de l’OCDE, il provient souvent d’une famille dont les parents sont peu scolarisés. Des interventions pour briser ce cercle vicieux seraient donc appropriées.
Au collégial, la situation n’est pas parfaite non plus, mais les bonnes nouvelles ne manquent pas. Dans sa préface de l’étude La réussite scolaire au collégial (Presses de l’Université Laval, 2020), l’économiste Pierre Fortin note qu’en 2019, « 79 % des jeunes adultes de 25 à 44 ans détenaient un diplôme postsecondaire (professionnel, collégial ou universitaire) au Québec et 74 % en Ontario ». Les jeunes adultes québécois avaient donc fait, en moyenne, 15 années d’études, un chiffre qui s’élève à 15,2 années en Ontario.
Trop de cégépiens, toutefois, décrochent ou retardent l’obtention de leur diplôme. Dans cette étude très détaillée menée par Richard Guay, Pierre Michaud, François Paquet et Sophie Poirier, trois facteurs de risque principaux sont cités : la moyenne générale au secondaire, l’âge de l’étudiant (plus on entre tard au cégep, plus on risque de décrocher) et le sexe (les filles font mieux). Les mesures d’aide à mettre en place afin d’améliorer la réussite doivent donc tenir compte de ces données.
L’étude contient aussi une information explosive, résumée par Fortin : les meilleurs taux de diplomation des collèges anglophones s’expliqueraient « aux deux tiers par leurs exigences scolaires qui sont moins élevées que celles des collèges francophones en langue et en philosophie ».
À l’université, enfin, la thèse du retard scolaire persistant du Québec par rapport à l’Ontario relève du mythe, écrivent les sociologues Benoît Laplante et Pierre Doray dans L’éclairage de la démographie. Parmi les Québécois francophones nés dans les années 1930, 12,8 % ont obtenu un diplôme universitaire (contre 14,4 % des Ontariens anglophones). Ceux qui sont nés cinquante ans plus tard sont 28,8 % à réussir l’exploit (30,3 % pour l’Ontario). Les Québécois anglophones (32,7 %), les immigrés (53,5 %) et leurs enfants (39,8 %) font encore mieux, mais cela s’explique par des considérations démographiques.
Pour des raisons historiques, au Québec, les couches aisées représentent une plus grande proportion de la société anglophone que de la société francophone. Les politiques d’immigration, ensuite, favorisent les diplômés universitaires, et la proportion de personnes nées à l’étranger est plus élevée en Ontario qu’au Québec. Parler du retard des francophones, dans ces conditions, est une erreur d’interprétation, concluent Laplante et Doray.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.