La chronique de Louis Hamelin: la diplomatie du canon à neige

On a ri de Québec, à l’époque, quand le comité de candidature de la capitale nationale aux Jeux d’hiver de 2002 étudiait, disait-on, la possibilité de « jacker » une montagne de Stoneham de quelques centaines de mètres pour pouvoir accueillir les compétitions de ski alpin et les sports de glisse. L’exploit des Chinois, presque aussi drôle, est d’avoir traité la neige en simple accessoire des Jeux d’hiver. Elle a cessé d’être décor pour devenir décorum.

C’est entendu, le climat se réchauffe et la neige artificielle, c’est l’avenir. Et les trois mètres d’enneigement naturel qui ensevelissent sapins et épinettes au nord de Québec ne seront jamais que de la couleur locale parce que, comme on l’avait compris depuis longtemps, l’argent est la seule chose qui se ramasse à la pelle aux Jeux olympiques.

Suis-je le seul à ressentir, devant ces Olympiades orchestrées par le régime politique le plus sain (au sens de désinfecté) et impitoyablement sécuritaire de la planète, quelque chose comme un doux désenchantement ? J’essaie de me souvenir du moment exact où s’est éteinte la flamme des Jeux d’hiver pour moi. Ce ne peut pas être en 2002, quand je hurlais de bonheur tout seul dans mon salon aux quatre points marqués en finale par Joe Sakic, un ancien Nordique, alors que nous plantions les Américains sur leur glace à Salt Lake City. Ce n’est pas non plus à Turin, dont je conserve moins de souvenirs, ni évidemment à Vancouver, où les frères Hamelin, mes cousins de la fesse gauche, étaient si vite sur leurs patins.

Non, il faut que ce soit Sotchi, en 2014. Là où le tsar Poutine s’était fait construire, au pied des monts Caucase, la pharaonique station de sports d’hiver dans laquelle allaient se dérouler les Jeux les plus chers de l’histoire (supplantés depuis par ceux de Tokyo). Et comme on n’avait pas déboursé 50 milliards de beaux pétrodollars de la mer Caspienne pour aller bêtement se faire battre par les Norvégiens, les Russes prirent les grands moyens pour rentabiliser leur investissement. Chapeauté par l’État moscovite au plus haut niveau, le système de dopage institutionnalisé qui fut alors mis en place par le pays hôte de ces Jeux étonne encore aujourd’hui.

Même si, en matière d’usage de substances prohibées, les pires naïfs ont perdu leurs dernières illusions depuis belle lurette, les révélations d’un membre de la hiérarchie sportive russe ayant fait défection aux États-Unis et décrivant les missions des agents spéciaux entrés par effraction dans les laboratoires pour y dérober des éprouvettes et falsifier des échantillons n’en glaçaient pas moins le sang.

Vingt ans après Lillehammer, cette petite ville norvégienne moins populeuse que Sept-Îles dont les Jeux tenus dans un vrai climat nordique avaient atteint des sommets de simplicité et de chaleur humaine, Sotchi, à l’autre bout du spectre, ressemblait à une caricature parfaitement assumée de la gloire olympique avec sa tricherie organisée et son potentat drapé dans un patriotisme boursouflé.

Or, moins de quatre ans après être devenus les parias de la scène sportive mondiale, les athlètes olympiques russes étaient déjà de retour, compétitionnant en Corée du Sud sous un pavillon de complaisance, comme ils disent dans la marine. Il manquait encore à ce feuilleton la spectaculaire réhabilitation olympique de l’increvable autocrate à la tribune d’honneur du stade de Pékin, le Poutine prêt à bouffer de l’Ukraine qui posait à la une de mon journal l’autre matin, bras de fer dans un gant de soie de Xi’an, copain comme cochon avec le bon Xi Jinping, ce grand adepte de la transparence qui n’irait jamais tolérer un système de dopage occulte couvert par l’autorité politique dans sa cour, n’est-ce pas ? D’ailleurs, la quatrième position de la République populaire de Chine au tableau des médailles des Jeux de Pékin devrait presque nous rassurer…

Mais l’absurde affaire Valieva, du nom de cette patineuse artistique russe de 15 ans déclarée positive à une substance interdite, mais tout de même autorisée à performer, quoique privée à l’avance de médaille, montre bien que l’héritage de l’olympisme est empoisonné, que des machines étatiques continuent d’usiner de la chair à podium et que l’abcès est loin d’avoir été vidé à Sotchi.

Il reste, heureusement, les athlètes… Surtout ceux qui ne se laissent pas complètement formater par une obsession de la performance frôlant parfois elle-même l’idéologie et qui semble tout aussi nocive que les calculs politiques. Heureusement qu’il y a le biathlonien Jules Burnotte pour déclarer en entrevue : « Je n’ai jamais beaucoup aimé m’entraîner à tirer. » Peut-être que s’il lui arrive de rater la cible sur la belle neige artificielle d’une banlieue de Pékin, celui-là ne va pas fondre en sanglots comme si son monde s’effondrait et qu’il n’avait pas encore toute une vie devant lui ?

Oui, heureusement qu’il y a les athlètes. Heureusement qu’il y avait Gaétan à Sarajevo, Myriam à Lillehammer, Marc, Jamie et David au bord du Grand Lac Salé, et Charles à Turin, Vancouver, Sotchi, Pyeongchang, Pékin… Ce lointain cousin du côté de mon père qui est maintenant l’athlète canadien masculin le plus médaillé de l’histoire des Jeux d’hiver. Des plans pour me réconcilier avec l’idéal olympique.

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