Les sincérités successives
Le premier ministre Legault avait déjà fait siennes deux des trois pointes du triangle dans lequel Robert Bourassa voyait l’image de sa politique. La première correspondait au développement économique ; la seconde, à la place du Québec dans la fédération.
Pour justifier son recul sur la « contribution » qu’il voulait imposer aux non-vaccinés, M. Legault a invoqué la troisième pointe du triangle de M. Bourassa, soit la « paix sociale », dont l’ancien premier ministre avait fait une véritable obsession, de la crise d’Octobre à celle d’Oka, en passant par l’emprisonnement des chefs syndicaux et la période de tensions linguistiques de la deuxième moitié des années 1980.
Après le spectacle offert par les camionneurs qui ont pris Ottawa en otage et le défoulement collectif auquel il a donné lieu, on ne peut que partager l’appréhension du maire de Québec à la perspective de voir Rambo et ses amis débarquer en ville pour l’ouverture du carnaval.
M. Legault a beau nous avoir habitués à de brusques changements de cap, sa dernière volte-face a de quoi en déconcerter plusieurs. À l’entendre, les non-vaccinés étaient une bande d’irresponsables qui risquaient de faire exploser le réseau de la santé. Voilà maintenant qu’il faut se montrer respectueux envers leurs craintes et tendre la main. Cette soudaine empathie paraît pour le moins suspecte.
Bien entendu, aucun chef de gouvernement ne souhaite le désordre. À moins d’un an d’une élection, le souci d’éviter de « diviser » la population devient toutefois une préoccupation qu’on ne soupçonnait pas aussi intense.
En politique, on apprend à avoir des sincérités qui se succèdent selon son intérêt du moment et à les exprimer avec une égale ardeur. Il peut malheureusement arriver que la population confonde cette évolution avec de l’hypocrisie.
D’un point de vue stratégique, la contribution santé pouvait paraître une bonne idée, dans la mesure où elle avait l’appui d’une nette majorité d’électeurs et n’aurait touché qu’environ 300 000 personnes.
Le problème est qu’elle aurait été perçue seulement au printemps… 2023, quand le virus aura vraisemblablement été vaincu ou que la population aura appris à vivre avec lui. Les arguments tout à fait valables que le premier ministre avait fait valoir pour la justifier auraient vraisemblablement perdu toute pertinence au moment du déclenchement de la prochaine élection.
Le chef du Parti conservateur du Québec, Éric Duhaime, a un talent indéniable pour tirer profit de la frustration engendrée par deux ans de pandémie, mais il était raisonnable de croire que la nouvelle popularité de son parti diminuerait au fur et à mesure que la vie reprendrait un cours plus normal. Maintenir une contribution devenue obsolète lui aurait donné une bouffée d’air inespérée.
Malgré sa bonne performance dans les sondages, le PCQ ne constitue pas un danger imminent pour la CAQ, mais il serait mal avisé de le laisser prendre souche. En cherchant à repositionner le PLQ plus à gauche, Dominique Anglade a permis à la CAQ d’occuper tout l’espace à droite du centre. Quel intérêt aurait-elle à le partager avec un nouveau venu ?
La volte-face de M. Legault ne suffira pas à faire taire la contestation des mesures sanitaires, qui va bien au-delà de la contribution santé. Ce succès risque même de l’encourager.
Il est sans doute préférable de reculer quand on s’est fourvoyé, mais cela ne doit pas devenir une habitude. Certes, personne n’avait prévu les multiples rebondissements de la pandémie, qui ont forcé tous les gouvernements de la planète à des réajustements continuels, mais la décision de pénaliser les non-vaccinés relevait davantage de la politique que de la santé.
Cela aurait peut-être incité certains à se faire vacciner, mais il s’agissait surtout d’apaiser la grogne de ceux qui l’étaient déjà. Cette fois, on peut difficilement reprocher aux partis d’opposition de crier à l’improvisation. De toute évidence, on cherchait un gain politique immédiat, sans avoir évalué les effets à plus long terme.
Au moment où ils engagent un nouveau bras de fer avec le gouvernement, qui veut les enrégimenter dans son système de rendez-vous, les médecins omnipraticiens ont certainement observé les derniers événements avec grand intérêt.
De la même façon que les non-vaccinés ne veulent pas qu’on les tienne pour responsables de la fragilité du réseau de la santé, la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec refuse que ses membres deviennent « les boucs émissaires de l’incurie de l’État en matière d’organisation des services médicaux généraux ».
Ils auront pris bonne note qu’on peut faire reculer ce gouvernement en demeurant inflexible. À deux reprises, celui-ci a dû renoncer à imposer la vaccination obligatoire aux travailleurs de la santé de peur que leur absence mette le réseau en péril. Sans la coopération des médecins, il faudra aussi renoncer à toute « refondation ».