Le tissu effiloché de la culture
Quand Omicron s’est mis à déferler sur un monde ahuri, le milieu culturel québécois a accepté stoïquement de calfeutrer ses salles de spectacle et de cinéma. Quelques protestations ont fusé ici et là, mais le front commun contre le redoutable adversaire viral tenait bon. Puis, lorsque la pandémie a fait mine de s’essouffler, son chœur soudain excédé a lancé un même cri : « Nous avons appliqué jusqu’ici des mesures de contrôle avec une grande rigueur, sans contaminations à la clé. Le public a besoin de sens et de beauté. Que sautent les verrous ! »
Voici ce pic « omicronien » passé. Nos capitaines ont contourné le dangereux cap Horn, la brume se dissipe quelque peu, mais prudence ! Le 7 février, ces salles rouvriront à mi-capacité (500 sièges au plus), comme l’assurait mardi François Legault en point de presse. Bientôt, on pourra voir un film, une pièce de théâtre, un concert de musique de chambre ou le spectacle qui nous chante. Alléluia !
Reste que les équipes créatrices ont à peine le temps d’ajuster leurs flûtes avant le redémarrage et que certains directeurs d’aires de spectacle doutent de pouvoir tenir le coup avec une jauge aussi réduite. Rempliraient-ils complètement leurs salles, à propos ? Lente sera la reprise, avec une population effrayée et un virus qui court toujours sans consulter ni vous ni le voisin.
Des lanternes pour voir au loin
Les artistes et les gardiens de leurs temples ont réclamé à la ministre de la Culture, Nathalie Roy, un plan de relance à long terme et se sont assis pour en discuter. Par-delà les dates de reprise désormais officielles, ils ont besoin de lanternes pour voir au loin, mieux résister à de nouvelles secousses et élaborer au besoin des plans B. Un énième variant est si vite éclos. Tout reste à faire pour repriser leur tissu fragile, qui montre la corde sous crise existentielle autant que pandémique.
Les artistes sont à bout de souffle. Leurs institutions chancellent, les habitudes du public mutent comme un virus en goguette sur une Toile déchaînée. Sans longue-vue, comment voir poindre la fameuse lumière au bout du tunnel ? Serait-elle allumée par un simple briquet, cette flamme-là ?
Le milieu culturel devra apprendre à vivre avec la pandémie. À cette enseigne, il faut sauver les décors et l’inspiration qui bat de l’aile. Que faire demain et après-demain pour séduire le public et croire de nouveau en des communions possibles ? Hier lui a si mal ouvert la voie…
Aux prises depuis des lunes avec une crise des valeurs qui trouve son apogée en nos temps de repli, la culture a le vague à l’âme sur les rives du Saint-Laurent. Hors du champ des humoristes, des concerts pop et de quelques disciplines populaires, l’intérêt pour les arts se racornit sans relâche. Les promesses d’un monde meilleur survolent leurs comptoirs, sauf au rayon du divertissement.
La culture n’est pas une valeur de société. La consommation à outrance, oui, alors même que les dérives environnementales appellent à réduire nos trains de vie. Le sport a également la cote, et tout le monde en parle avec des révérences dans la voix.
François Legault aime évoquer à quel point l’exercice physique fut un pilier de sa vie. On applaudit à cela, sans oublier que l’esprit a des besoins aussi criants que le corps. Chacun admire avec raison les athlètes de haut niveau envolés vers les Jeux olympiques de Pékin. De leur côté, les artistes se voient traités souvent de haut, comme des guignols à chapeaux lampions, moins essentiels que les médailles et les tondeuses à gazon. Un déséquilibre qui ronge nos racines collectives. Il faudrait revoir nos priorités. Tout le crie !
Car elle s’est forgée au fil du temps, cette crise des valeurs là. Après huit décennies d’école obligatoire au Québec, le piètre état de la langue commune et le niveau de culture générale au ras des pâquerettes lancent l’alerte rouge. Faute de repères linguistiques et artistiques, allez donc apprécier un bon livre, saisir les influences d’une peinture ou d’une musique et applaudir aux pièces de Molière sans échapper au passage une réplique sur deux.
Hormis les institutions culturelles promptes à organiser des matinées jeunesse au cœur de leurs cénacles, qui offre aux enfants un peu de ces lumières ? On sème chez nous l’ignorance à tous les vents. Les carences du milieu scolaire rejaillissent sur tout le corps social en éteignant les radars des générations montantes et en embrouillant leurs écrans. Si la société faisait faute route…
Moins on offre de nourriture artistique à la jeunesse, plus elle se sentira démunie face à l’avenir. Demain, il faudra survivre sous des conditions climatiques et sanitaires pires qu’aujourd’hui. Alors, les propriétaires de grosses bagnoles polluantes ne seront plus les rois du monde. Mais les enchanteurs et les conteurs capables d’ensemencer des esprits créatifs, peut-être bien que oui.