Surtout, ne regardez pas!

La Fontaine écrivait des fables où son bestiaire tendait aux humains un miroir de biais. En mettant en scène des animaux, le grand écrivain français du XVIIe siècle pouvait passer des messages à ses semblables sans se faire crier des noms. Car les miroirs trop précis dérangent. Il est si doux de s’obscurcir la vue…

Aujourd’hui, alors que la Terre, ses cataclysmes et ses virus nous hurlent de changer nos modes de vie pour enrayer les catastrophes en cours, ce rôle de moraliste culturel échoit aux dystopies et aux films pré ou postapocalyptiques. À eux la délicate mission de montrer à l’humanité qu’elle se fourvoie et fonce dans un mur bétonné. Bah ! soupire le spectateur encore à moitié inconscient. Ce n’est que de la fiction ! Et de retourner danser sur son volcan en tâchant de secouer quelques poux d’inquiétude. Mais le peut-il vraiment ?

En général, les œuvres sur la fin du monde illustrent avec des accents dramatiques le désert futuriste sur une planète asphyxiée par des gaz délétères ou autres calamités assassines. Or, au moment où Omicron perturbe les gros partys du temps des Fêtes et les voyages dans le Sud en contaminant les gens à la ronde, un film apocalyptique s’invite au bal des fous sur le mode hilarant. Gros coup, puisque cette comédie américaine renvoie le public à ses aveuglements en le faisant rire jaune. Et s’il fallait se dilater la rate pour mieux se réveiller ? La recette fonctionne en malaxant les codes du genre. Ainsi, on recommande la dégustation de ce film à charge et à décharge. Panacée ou pas contre l’illusion.

Il est vrai que Don’t Look Up (Don’t Look Up. Déni cosmique en V.F.) d’Adam McKay a quitté l’affiche de nos cinémas avant son terme, pour cause d’arrêt pandémie. Netflix vous l’offre en pâture dans vos foyers et ce serait dommage de passer à côté. Le film est d’une si brûlante actualité, avec son scénario qui grince et qui brille. Cette pizza garnie de tant de stars hollywoodiennes est une satire bien gratinée. Les scientifiques qui crient dans le désert en annonçant les graves conséquences des changements climatiques s’y voient vengés de folle manière.

Les réseaux sociaux, la course aux cotes d’écoute, les obsessions hystériques envers l’intimité de vedettes, les talk-shows futiles, le déni des bouleversements climatiques en prennent pour leur rhume. Ce portrait au vitriol des États-Unis, et de l’Occident entier par extension, tourné en pleine pandémie, frappe dans le mille. On invite d’ailleurs le spectateur à poursuivre le visionnement après le début du générique, sous peine de manquer des scènes fort savoureuses.

Don’t Look Up. Le titre renvoie à une invitation lancée dans le film aux Américains à ne pas regarder le ciel, où une immense comète se prépare à percuter la Terre. Il y a bien sûr deux astronomes plus ou moins ringards, joués par Leonardo DiCaprio et Jennifer Lawrence, qui tentent d’alerter tout le monde en hurlant à la lune. Encore faut-il qu’ils apprennent à engendrer des clics aux heures de grande écoute, sinon, c’est la trappe. Mais les gens continuent leur bruit, sans prêter trop attention au corps céleste et à sa queue lumineuse qui grossit chaque jour. Ils nous ressemblent. D’où les rires nourris du malaise d’être capables de se bidonner.

Voir Meryl Streep, jadis qualifiée par Donald Trump de vedette surévaluée, incarner une présidente des États-Unis aussi incompétente et narcissique que lui est une jubilation. À ses côtés, Jonah Hill joue son fils stupide, doublé d’un chef de cabinet, Cate Blanchett, une animatrice de télé frivole, Timothée Chalamet, un punk amoureux, Ariana Grande, une star de surface, avec d’autres interprètes de prestige. La distribution cinq étoiles devient une amorce pour appâter le public. Tant mieux !

Les studios d’Hollywood poussent la roue du vide plus souvent qu’à leur tour. On n’en pense pas tant de bien, en général. Mais ça arrive. Cette fois, une brochette de vedettes, qui s’est manifestement éclatée durant le tournage, prend une revanche sur sa propre industrie, sur les délires de Donald Trump, qui a tant abîmé les États-Unis, sur la course des humains dans leur cage à hamster. Leurs rôles remettent les pendules à l’heure. Elles disent : « Réveillez-vous ! » Et ça fait du bien. Voilà !

Après tout, ces stars ont beau vivre dans de beaux manoirs californiens, les incendies embrasés par les changements climatiques menacent leurs riches propriétés sur les collines. La communauté artistique audiovisuelle est avant tout démocrate et le prouve de temps à autre. Parfois, elle nous sert des nanars ; parfois, de grands films ; parfois, une comédie à message aussi bien ficelée que celle-là. Le cinéma peut être une arme contre la bêtise. On aimerait seulement qu’Hollywood s’en souvienne plus souvent dans ses fables. Car, c’est pourtant vrai ! La planète crie : « Alerte ! » Et nous, on rit…

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

À voir en vidéo