L’indispensable liberté universitaire

La commission sur la liberté universitaire, présidée par Alexandre Cloutier, vient de rendre son rapport.

Je l’attendais avec une impatience mêlée, je ne le cacherai pas, d’une certaine inquiétude. Le sujet, d’une importance capitale, me préoccupe depuis longtemps déjà, comme on le verra en consultant mes publications et mes nombreuses interventions publiques sur le sujet.

Allait-on aborder de front ces difficiles mais incontournables sujets polémiques que la question de la liberté universitaire nous demande impérativement d’affronter ? Allait-on prendre toute la mesure des enjeux intellectuels et politiques que ces questions engagent ? Allait-on proposer des solutions à la hauteur de ces défis ?

Je le dis sans détour : le rapport qu’ont produit M. Cloutier et les membres de la commission est à mon avis remarquable.

On y a clairement reconnu l’importance de la question de la liberté universitaire, notamment pour l’accomplissement de la mission de l’université, ainsi que l’urgence avec laquelle l’actualité nous l’impose ; on a manifestement lu, et on cite avec pertinence, des livres, des articles et des documents incontournables ; on a consulté, on a écouté et on a enquêté.

Au total, on définit clairement la liberté universitaire et on rappelle son importance ; on ne cède pas à de dangereuses modes qui la menacent parfois (espaces sécuritaires, « traumavertissements », par exemple) ; et on a reconnu l’importance de protéger la liberté universitaire contre ses menaces tant extérieures qu’intérieures.

Il faut donc remercier toute l’équipe pour ce précieux travail. Mais ne me croyez pas sur parole et allez lire ce riche document.

Cela dit, je tiens à dire deux choses que je pense importantes. La première concerne une objection qu’on fait sur ce travail et qui me semble faible et totalement irrecevable.

La question de l’autonomie de l’université et la loi demandée

Le rapport demande en effet que le gouvernement adopte une ambitieuse loi qui définira notamment la mission de l’université, la liberté universitaire et ses bénéficiaires et qui obligera les universités à se doter sur la question d’un comité disposant d’importants pouvoirs.

Cette demande est mal reçue par certains, qui y voient une menace à l’autonomie de l’institution. À mon avis, cette objection n’est pas valable.

D’abord, parce que les universités ont récemment trop souvent failli à leur tâche de défendre l’institution et la liberté qui doit y exister ; ensuite, parce que nos universités, établissements publics, sont financées par la population, qui a, de facto et de jure, un droit de regard sur elles, qui doivent d’ailleurs se conformer au cadre juridique général et donc, notamment, à la Charte québécoise, au Code criminel et au Code civil.

Le rapport cite à ce propos la commission Parent, qui évoquait déjà ce délicat équilibre devant s’établir et « dans lequel l’université ne se sentira pas asservie à l’État ni l’État dépendant de la seule bonne volonté des universités ». Je pense, comme Pierre Trudel, bien plus savant que moi sur tout cela, que ce qui sera par la loi demandé aux universités s’inscrit dans la foulée des autres lois dans lesquelles personne n’a à ce jour vu « une limite à l’autonomie des universités ». En ce sens, on ne rompt aucunement ici le délicat équilibre évoqué.

La deuxième chose que je veux dire est plus délicate.

 

Un angle mort

Parmi les menaces à la vie et à la liberté universitaires, on trouve en ce moment certaines modes qui se situent à la frontière de la vie intellectuelle et du politique et qui exercent parfois, dans certains secteurs, une énorme influence sur la vie de l’esprit.

Cela pourra faire en sorte que le refus de se plier à elles et à ses exigences, de s’y conformer, voire d’adhérer minimalement à certaines positions à leur égard, rende un professeur victime de limitations à sa liberté universitaire qui seraient causées… par d’autres professeurs et par un certain conformisme idéologique.

Je connais quelques troublants cas de ce genre en ce moment même et il n’est guère difficile d’en imaginer d’autres autour de sujets polémiques.

Imaginez cette chercheuse, en tel lieu institutionnel, qui voudrait montrer les limites du concept de racisme systémique, qu’elle récuse ; tel autre qui conteste leconcept de genre ; tel autre encore qui soutient que ce qui est ici présenté comme de la recherche crédible est de la pseudoscience ; ou un autre qui pense que les politiques de diversité, d’inclusion et d’équité sont inadmissibles ; et ainsi de suite… Censure et autocensure risquent fort de se conjuguer ici…

Tout cela n’est pas vraiment abordé dans ce rapport et je me suis notamment étonné qu’on n’ait pas retenu, dans le sondage qu’on a fait sur les sources actuelles de limitations à la liberté universitaire, outre la direction, les syndicats, les étudiants, les entreprises et le gouvernement, certains professeurs ou certaines modes. J’avance qu’il n’est pas déraisonnable de penser que, sur des sujets comme ceux que je viens de nommer, l’avenir nous apportera des cas troublants.

Je pense aussi, toutefois, que les outils que le rapport recommande de mettre sur pied, correctement pensés et employés, pourraient tout à fait permettre de rendre visible et de corriger ce qui me semble être occulté.

Cette chronique vous reviendra le 8 janvier.

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