Le bal des épithètes
Il se nomme Tanguy David. Il y a deux semaines, personne ne savait qui était ce jeune homme de 18 ans, étudiant en droit à Caen. Aujourd’hui, il est connu dans toute la France. On l’a même vu à la populaire émission de Cyril Hanouna Balance ton post ! Il recevait jusqu’à tout récemment plus de 3000 messages par jour. Et pas n’importe quels messages. Dans ces missives anonymes, on le traitait de « vendu », de « salaud » et plus encore. On a même menacé de le décapiter, comme l’a été l’enseignant Samuel Paty en pleine rue il y a un peu plus d’un an.
Qu’a donc fait ce jeune Français qui s’exprime dans une langue impeccable et vit chez ses parents ? Il est un soutien revendiqué depuis le début d’Éric Zemmour, le célèbre polémiste aujourd’hui candidat à l’élection présidentielle. Vous vous demandez où est le problème. J’oubliais, c’est que Tanguy est noir. Il lui a donc fallu affronter un torrent d’insultes racistes. Quand on ne le qualifie pas de « nègre de maison » ou « de service », on le traite de « Bounty », du nom de cette friandise qui est noire à l’extérieur et blanche à l’intérieur.
Cette campagne raciste sur les réseaux sociaux avait commencé un mois plus tôt, lors d’une première assemblée d’Éric Zemmour à Nantes. Elle s’est poursuivie à Villepinte, le 5 décembre dernier, alors qu’en tant que représentant de la région Normandie, Tanguy se tenait derrière le candidat et qu’il est apparu sur les écrans.
Depuis un mois, Tanguy est victime de cette assignation à résidence qui est la règle première du communautarisme. Elle stipule que la loi de la « communauté », peu importe qu’elle soit raciale, ethnique, religieuse ou sexuelle, a préséance sur les droits et les devoirs du citoyen. N’est-ce pas cette même étroitesse d’esprit qu’avait exprimée le candidat Joe Biden l’an dernier en soutenant qu’un Noir qui votait Trump n’était « pas un Noir » ? Des propos qu’il a heureusement regrettés par la suite.
Cette violence donne une petite idée de la tension qui caractérise cette campagne présidentielle à quatre mois du scrutin. On a rarement vu autant de noms d’oiseaux voler de tout bord, en particulier pour désigner le trublion Zemmour. « Extrême droite », « fasciste », « néonazi », « raciste », « négationniste », « réactionnaire », « droite dure », « pétainiste », « droite décomplexée », « droite de la droite », « ultradroite », un dictionnaire ne suffirait pas pour recenser ce déferlement d’épithètes.
Il est intéressant de constater que la plupart de ces insultes sont directement tirées du vieux bêtisier antifasciste stalinien, qui connaît aujourd’hui un étonnant regain à gauche. C’est ce qu’avait expliqué brillamment dès 2014 le politologue Pierre-André Taguieff dans un essai consacré au Front national (Du diable en politique, CNRS Éditions). Taguieff concluait que ces invectives défiaient généralement toute analyse politique des programmes. Ils n’étaient que des ersatz destinés à désigner « le Mal » et à éviter tout débat d’idées.
Car en matière de programme, Éric Zemmour ne respire-t-il pas surtout la nostalgie du RPR, le vieux parti gaulliste de l’époque de Charles Pasqua et de Philippe Séguin ? De même, sa proposition de supprimer le regroupement familial ne fait que reprendre les analyses de l’ancien président Valéry Giscard d’Estaing.
Dans le même ordre d’idées, le quotidien Le Monde condamnait récemment l’« étrange bienveillance » des élites envers Zemmour. L’article mettait dans le même sac des intellectuels d’horizons aussi divers qu’Alain Finkielkraut, Marcel Gauchet, Michel Onfray, Jacques Julliard et Luc Ferry. Leur impardonnable faute serait d’avoir reconnu, comme l’écrit Ferry, que Zemmour n’a fait que dire « haut et fort ce que des millions de Français pensent, comme lui, à savoir que l’atomisation de la société, l’islamisation de certains quartiers, la prolifération des trafics d’armes et de drogues dans les zones de non-droit ne sont pas dignes d’un pays républicain ». Ceux qui les ont lus savent que ces mêmes intellectuels ont aussi des critiques à adresser à Zemmour. Mais le temps n’est plus à la nuance. Au nom d’un prétendu combat « antifasciste », chacun est sommé de choisir son camp !
Ce n’est pas un hasard si, quoi qu’on pense de lui, Zemmour a pour l’instant imposé les principaux thèmes de cette campagne, de Marine Le Pen à Emmanuel Macron, en passant par le souverainiste Arnaud Montebourg et le vert Yannick Jadot. Si Zemmour est encore loin du second tour, sa dernière assemblée a montré qu’il n’était pas qu’une étoile filante. Il aura cependant fort à faire pour s’imposer face à la nouvelle venue Valérie Pécresse, qui a remporté l’investiture des Républicains. Chose certaine, pour convaincre cette majorité de Français qui se reconnaît à droite, elle ne pourra se contenter d’un catalogue d’invectives. Pour espérer gagner, dit le politologue Dominique Reynié, elle « doit restaurer une droite de conviction et de fermeté ». Autrement dit, comprendre le phénomène Zemmour et ne pas se contenter de le conspuer, comme le fait la gauche depuis des mois, avec pour résultat qu’elle est devenue marginale dans cette campagne.
Lancer des épithètes, n’est-ce pas ce que les élites françaises ont fait depuis trente ans pour combattre le Front national ? Avec le résultat que l’on sait.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.