L’école, c’est plus que du boulot

Dans les technos, il y a unanimité sur tous les continents, sauf peut-être l’Antarctique : le Québec est une pépinière de travailleurs talentueux et bon marché. Des porteurs d’eau adaptés à l’économie numérique. La province crée toutefois peu de nouvelles entreprises. Encore moins de nouvelles technologies. Et certainement pas de nouvelles industries. Tout ça commence sur les bancs d’école…

Il est difficile d’imaginer que le prochain Google ou le prochain Netflix verra le jour au Québec. Pourtant, ces géants de l’économie numérique ont ouvert des bureaux dans la province. Ils valident la notion selon laquelle ce qui se fait au Québec est bon. Peut-être juste pas assez bon pour qu’un géant de propriété locale s’impose à leur place.

Pourtant, et quoi qu’en disent certains vendeurs à découvert étrangers, les technologies québécoises connaissent beaucoup de succès ces jours-ci. CGI, Coveo, Lightspeed et autres Stingray s’en tirent plutôt bien à la Bourse de Toronto et du point de vue commercial, sur les marchés tant intérieurs qu’internationaux.

« À coût nul »

L’indicateur de performance le plus fréquemment utilisé pour illustrer le succès québécois dans les technos est le nombre de travailleurs que compte l’industrie. L’apport au PIB, les bénéfices rapatriés de l’étranger dans la province et la taille relative des entreprises québécoises face à leurs homologues étrangères sont généralement laissés en sourdine.

Bien malgré elle, l’école a son rôle à jouer là-dedans. Au fil des annonces d’investissements publics et privés en techno comme ailleurs, il se crée l’impression que le système scolaire québécois a comme principale fonction de former la main-d’œuvre de demain, plutôt que des citoyens et des décideurs prêts à relever des défis qui débordent du bon vieux neuf à cinq.

Pour un parent, savoir que son enfant sortira de l’école avec « un job steady et un bon boss », comme ironisait Yvon Deschamps à une autre époque, est toujours rassurant. Pour le gouvernement aussi : un bon salarié paiera plus que sa part d’impôts. Cet impôt fait d’ailleurs partie du calcul utilisé par Québec pour justifier des investissements qui ne font pas toujours l’unanimité.

Quand on parle d’un investissement public « à coût nul », c’est que l’on compare la somme investie dans le privé aux recettes qui reviendront ensuite à l’État. Ces recettes sont majoritairement puisées à même le salaire des emplois qui seront créés à la suite de ces investissements.

À la bonne école

 

La semaine dernière avait lieu l’édition 2021 de la Semaine de l’enseignement de l’informatique. L’événement a lieu à la fois au Canada et aux États-Unis. Elle est tout particulièrement célébrée par les géants technos Apple, Google et Microsoft, qui prêchent évidemment pour leur paroisse. Ils font valoir l’intérêt pour les élèves de se familiariser dès le plus jeune âge avec le numérique en général et la programmation informatique en particulier.

Le message envoyé durant cette semaine ne résonne pas très fort au Québec. Il le devrait. Ce message est simple : les technologies numériques ne sont pas une fin en soi, mais un outil de plus pour aider les jeunes à mieux grandir.

François Lake-Héon est un enseignant du niveau primaire à Sainte-Julie, sur la Rive-Sud dans la région de Montréal. Il initie depuis quelques années ses élèves à la programmation à l’aide de la tablette iPad, d’Apple. Rien de très compliqué, juste ce qu’il faut pour accrocher des jeunes qui ont un certain intérêt envers le numérique. « À la maison, on a tendance à considérer l’iPad comme un appareil de divertissement, mais c’est aussi un outil d’éducation très efficace. »

« Pour moi, la beauté de l’école est qu’on y trouve des enseignants qui viennent de tous les horizons et qui ont différents centres d’intérêt. Chacun va intéresser des élèves qui vont développer ces mêmes intérêts. Il faut permettre aux élèves de s’amuser, et j’ai des élèves qui s’amusent avec la programmation. »

La société de demain

 

De plus en plus d’enseignants québécois profitent des programmes gratuits qui leur sont offerts par les géants technos pour mettre leurs élèves en contact avec des environnements numériques qui peuvent faire naître chez les plus intéressés le désir d’aller plus loin dans les technologies. On peut critiquer la présence de ces multinationales dans les écoles, mais elles ne font que combler un vide.

Leur objectif n’est pas d’échanger le cahier Canada et le crayon à mine contre un écran devant lequel l’enfant passera la plus grande partie de sa journée. C’est l’occasion d’aborder les technologies sous un angle positif et dans un cadre contrôlé, qui préparera ensuite les jeunes à affronter eux-mêmes des réflexions plus complexes : les conséquences des contenus partagés sur Instagram, les risques liés à l’économie numérique, la confidentialité des données personnelles, etc.

L’école de François Lake-Héon partage les mêmes tablettes d’une classe à l’autre. Cela a un avantage insoupçonné : les élèves se soucient un peu plus du respect de la vie privée. La leur, à tout le moins. Ils sont responsables des photos et autres documents qu’ils créent et qu’ils sauvegardent sur l’appareil. Ils doivent s’assurer que l’élève qui en prendra possession ensuite n’héritera pas de ce contenu. C’est aussi un premier pas vers l’apprentissage du risque lié à la photographie numérique en cette ère de cyberintimidation…

Bref, c’est une préparation toute normale pour une société qui sera de plus en plus numérique. On est évidemment loin d’une maîtrise en gestion des affaires. Mais c’est aussi plus vaste qu’une formation pour futurs salariés. Après tout, l’école, c’est plus que du boulot. C’est un cadre créatif où peuvent naître des idées folles, comme créer une librairie en ligne (Amazon) ou un bottin étudiant public (Facebook)…

« Pour moi, la programmation, ça sert à préparer les élèves pour la société de demain. Ça permet de le faire dans un contexte d’apprentissage et de plaisir », conclut François Lake-Héon. L’enseignant julievillois est manifestement passionné. Les enseignants passionnés sont souvent ceux qui laissent aussi le souvenir le plus inspirant dans l’esprit des élèves.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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