«Iels» sont «fou.olles» !

Il ne fait pas de doute que l’entrée du pronom personnel « iel » dans Le Robert passera à l’histoire. Mais, ce ne sera pas celle de la langue française. Plutôt celle du marketing. Quel coup fumant ! En quelques jours, on a parlé du Robert dans les gazettes du monde entier. Pas un village perdu au fin fond de la Francophonie qui n’en ait perçu l’écho. L’affaire pourrait devenir un cas d’école dans les facultés de commerce.

Car il en va aujourd’hui des dictionnaires comme des « chars ». À chaque année, son modèle. Cela fait belle lurette que le dictionnaire fait sa pub sur les nouveaux mots admis dans le saint des saints. Une centaine chaque année et la boucle est bouclée. Quitte à ce que la plupart ne vivent que ce que vivent les fleurs. Peu importe que les langues n’évoluent que sur le temps long. À chaque nouvelle édition, ses nouvelles « tendances ». Cette année, le dictionnaire se porte à la mode « dégenrée », le « neutre » en bandoulière. L’année prochaine, ce sera autre chose. Que ne ferait-on pas pour vendre du papier.

Rappelons aux néophytes que « iel » est la fusion de « il » et « elle ». Logiquement, le nouveau pronom devrait donc désigner ceux qui se reconnaissent à la fois dans le masculin et le féminin. Mais, pour des raisons encore mystérieuses, qui tiennent surtout à ce réflexe de colonisé qui cherche à copier le neutre anglais, il désignerait dit-on ceux qui ne se reconnaissent ni dans l’un ni dans l’autre. Comprenne qui pourra.

Contrairement à l’Académie française, Le Robert s’était pourtant toujours défini comme « un observatoire, pas un conservatoire », disait son ancien rédacteur en chef Alain Rey. Le voilà qui se rallie à une conception prescriptrice du dictionnaire, pour ne pas dire carrément militante. Car, on se demande bien où ses auteurs ont bien pu « observer » des êtres en chair et en os qui parlaient et écrivaient cette langue. Comment le pourraient-ils, puisque même les microscopiques sectes militantes qui en font la promotion ne parviennent pas à utiliser ce pronom dont les accords ne sont aucunement définis ? C’est ce qui a fait dire au linguiste Bernard Cerquiglini qu’en découvrant ce que ses successeurs sont en train de faire du Robert, « Alain Rey aurait éclaté de rire ! »

L’usage de ce pronom factice étant inexistant, son introduction dans le dictionnaire ne saurait donc représenter qu’un choix purement politique. Un choix que le philosophe Robert Redecker identifie à « un néobolchevisme qui, à l’instar de son devancier historique, rêve de fabriquer un homme nouveau dont “iel” serait l’embryon ».

Mais ne boudons pas notre plaisir. Car le surgissement de cette construction artificielle et doctrinaire nous en apprend beaucoup sur l’idéologie qui l’a enfantée, celle de la déconstruction. Rien de tel quand on veut détruire une société jugée par essence coupable de toutes les discriminations « systémiques » du monde que de s’en prendre à sa langue. Les tenants de ces thèses ayant été biberonnés aux théories du relativisme postmoderne selon lesquelles tout n’est que représentation, ils estiment dans une sorte de marxisme inversé que c’est « la représentation qui produit la réalité ». C’est ainsi qu’on en arrive par exemple à nier tout fondement biologique et matériel à la sexualité humaine et à postuler que chacun peut choisir son sexe et en changer comme bon lui semble.

Dès lors que l’on professe qu’« il n’y a rien en dehors du langage », il n’est pas étonnant que l’on s’imagine pouvoir changer le monde confortablement installé derrière son ordinateur. Oubliez les grèves et les mouvements sociaux, il suffirait de triturer la langue. On comprend dès lors pourquoi cette gauche universitaire accorde tant d’importance à des inventions langagières aussi grotesques que l’écriture dite « inclusive » qui font généralement rire le commun des mortels, ou au mieux l’indiffèrent. Il sera toujours plus simple d’inventer de nouveaux mots et de jouer au Lego avec les règles de la grammaire que de se battre pour améliorer le sort des caissières des supermarchés.

On comprend en même temps comment de tels raisonnements en arrivent à des attitudes aussi saugrenues et totalitaires que de bannir des mots. Comme si en interdisant le mot « nègre », par exemple, et en le remplaçant par des périphrases, on faisait disparaître la discrimination qu’il a pu charrier dans l’histoire. Tout le vocabulaire de la rectitude politique est fondé sur un tel postulat. En proscrivant le mot « vieux » et en le remplaçant par cette langue de bois qui nous a donné les « aînés » et l’« âge d’or », on serait censé lutter contre les discriminations. Les horreurs commises pendant la récente épidémie dans les CHSLD québécois, où domine pourtant ce jargon, devraient nous convaincre qu’il n’en est rien. Et que ces manipulations langagières ne sont que des subterfuges hypocrites destinés à dissimuler les réalités qui dérangent, quand elles ne servent pas tout simplement à se donner bonne conscience.

Tout cela ne serait qu’un inutile débat d’intellos si, comme disait Camus, « mal nommer un objet » ne faisait pas qu’« ajouter au malheur de ce monde ».

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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