Qu’elles rentrent dans le rang
Les échanges entre la présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, et les représentantes des éducatrices et des employées des CPE se sont encore durcis cette semaine. De nouvelles journées de grève ont perturbé le quotidien des familles à travers la province et, au moment où ces lignes étaient écrites, les négociations, rompues le 19 novembre, sont toujours dans une impasse.
Le spectre d’une grève générale illimitée plane, les membres de la Fédération des intervenantes en petite enfance du Québec (FIPEQ-CSQ) ayant adopté à 91,2 % un mandat à cet effet, à être exercé avant les Fêtes. « Je pense que, sincèrement, on a perdu de vue la réalité des parents, ce qu’ils ont vécu dans les derniers mois avec la pandémie », a déclaré la ministre LeBel en évoquant la possibilité de recourir à une loi spéciale si les employées s’entêtent à débrayer.
C’est une ligne qu’on connaît bien, celle des parents « pris en otages » par des travailleurs têtus, qui vont toujours « trop loin » lorsqu’il s’agit d’utiliser les moyens de pression mis à leur disposition pour défendre leurs conditions de travail et, du même souffle, l’intégrité d’un service public. La tactique employée par le gouvernement dans ses négociations avec le personnel des garderies aussi est chose commune : on brandit une carotte aux éducatrices en espérant qu’en retour elles se désolidarisent des autres salariées des CPE, à qui l’on fait des offres dérisoires.
Il y a dix-huit mois maintenant que les employées des CPE sont sans convention collective. Leurs revendications sont claires. D’abord, il faut un rattrapage salarial considérable pour les éducatrices qualifiées, dont la profession a historiquement été dévalorisée. Il est complètement absurde que les femmes qui, jour après nous, soignent et éduquent les tout-petits ne gagnent pas plus de 25 $ l’heure. Qui espère-t-on convaincre de rejoindre cette profession, lorsqu’on offre au départ un salaire de 19 $ l’heure, ce qui permet à peine d’atteindre un revenu viable ?
Personne ne conteste l’urgence d’augmenter le salaire des éducatrices, et l’offre qui leur est faite a d’ailleurs été jugée satisfaisante. Sauf qu’une augmentation substantielle des salaires des autres corps d’emploi qui permettent aux garderies d’accomplir leur mission éducative ne peut pas attendre pour autant. La ministre LeBel a beau accuser les représentantes syndicales d’être déconnectées de la réalité, les éducatrices, elles, savent bien que, sur le terrain, il n’est pas souhaitable de laisser tomber les responsables en alimentation, les préposées à l’entretien, les agentes administratives et de conseil. On sait combien leur rôle est essentiel pour le bon fonctionnement du réseau.
Il est vrai que les parents d’enfants en bas âge ont affronté plus que leur lot d’épreuves dans les deux dernières années, avec la pandémie et la pénurie de places en garderie. Mais le gouvernement semble sous-estimer le soutien des parents à la cause portée courageusement par le personnel des CPE.
La semaine dernière, dans une lettre ouverte parue dans La Presse, plus de 275 parents appelaient à mettre fin à l’impasse actuelle: « Nous, les familles québécoises épuisées de s’adapter, vous demandons de régler ce conflit de travail par une entente négociée afin de sauver notre santé mentale et celle de nos enfants, mais aussi de sauver notre système d’éducation à la petite enfance », écrivaient-ils. On comprend très bien que le piètre état du réseau des garderies résulte d’une négligence politique passée, et qu’une entente amère, obtenue sous la contrainte, aggraverait le problème au lieu de redonner de la vigueur à une institution précieuse et menacée.
Par ailleurs, le bras de fer entre le gouvernement et les employées des garderies s’intensifie au moment même où ont lieu les consultations sur le projet de loi 1, sur l’amélioration des services de garde éducatifs à l’enfance, déposé en octobre.
Tout au long de la dernière année, de nombreuses voix citoyennes se sont élevées pour dénoncer le manque alarmant de places en garderie. Ces inquiétudes ont de toute évidence été entendues et prises au sérieux par le gouvernement Legault. Lors du dépôt du projet de loi 1 par le ministre de la Famille, François Legault a déclaré qu’il était essentiel de créer 37 000 nouvelles places « au plus sacrant » pour compléter le réseau — et tant mieux.
Reste qu’on se demande comment seront créées ces nouvelles places si on ne s’engage pas, tout d’abord, à investir dans la juste rémunération du personnel des CPE, surtout si on tient compte du fait que le manque de main-d’œuvre constitue l’un des principaux freins au développement de nouvelles places en garderie.
En refusant d’accéder aux demandes du personnel des CPE, le gouvernement envoie un message contradictoire. Ou alors, il envoie un message très clair : pour créer de nouvelles places en garderie, il faut serrer la vis aux employées. Qu’elles rentrent dans le rang, les parents attendent. Après tout, ce ne serait pas la première fois que le gouvernement Legault s’adresserait sur ce ton à des travailleuses essentielles. Or, cela n’augure rien de bon pour la survie, à long terme, d’un service d’éducation à la petite enfance public, universel et fort.