Le capitalisme triomphe chez QS
« L’idéalisme, il faut en avoir beaucoup. Surtout au début. Parce que ça réduit à la cuisson. » Ce mot d’un ami écologiste français est plein de sagesse. La cuisson, c’est le choc du réel, les contraintes de la vie politique, la force du statu quo. L’important est de garder le cap malgré les obstacles. Et de ne pas, au nom de la quête du pouvoir, renier son idéal d’origine.
Avec Québec solidaire (QS), on savait à quoi s’en tenir. Le parti avait inscrit sur ses fonts baptismaux son identité anticapitaliste. La charge était nette : « Le système capitaliste produit les inégalités sociales, détruit l’environnement et renforce le sexisme et le racisme en maintenant de nombreux groupes et de nombreuses personnes dans la pauvreté. » Tout un manifeste, présenté en 2009 par Françoise David et Amir Khadir, appelait à « dépasser le capitalisme » et critiquait ceux, les sociaux-démocrates, qui souhaitaient simplement le réformer ou le refonder. Ils passaient, écrivait QS, « à côté des vraies questions ».
L’actualité climatique donne raison à ce procès. L’entreprise capitaliste devant, pour attirer et retenir ses actionnaires, produire encore davantage et offrir toujours un rendement compétitif, le système ne serait durable que si les ressources étaient infinies. Mais puisqu’elles ne le sont pas, la logique même du capitalisme nous conduit vers la déforestation, l’épuisement des ressources, la catastrophe climatique. Beaucoup de citoyens sentent qu’il y a quelque chose de vicié à la base. Un sondage d’août dernier révélait que 35 % d’entre nous souhaitent s’« éloigner du capitalisme ». Seulement 25 % sont réellement attachés au système. Les autres ne savent quoi penser.
La question qui tue la planète
Être conscient que le capitalisme est le problème n’est qu’un premier pas. La question qui tue (la planète, entre autres) est de savoir comment s’en débarrasser et par quoi le remplacer. Dans son programme, actualisé en 2019 et toujours en vigueur, QS avait choisi la manière forte : « Québec solidaire vise, à long terme, la socialisation des activités économiques. » Vaste programme. Cela signifie que toutes les grandes entreprises (Walmart, Bell Canada, Cascades, Bombardier, etc.) deviendraient propriété collective, donc soustraites au dogme de la croissance. Rassurez-vous, ajoutait QS, « une certaine place au secteur privé sera maintenue, particulièrement en ce qui a trait aux PME ». Mais le programme de QS insistait sur l’urgence de nationaliser les mines, les entreprises forestières, une partie du système bancaire.
Ces choses-là prennent du temps. Ce sera, écrivait-il, « à long terme ». On se limitera, dans un premier mandat, à la nationalisation des CHSLD, de l’énergie renouvelable, de la nationalisation/création d’une banque d’État et, disait QS en 2018, du transport collectif interurbain.
Cette fin de semaine, les délégués de QS étaient d’ailleurs invités à se concentrer sur des engagements « réalisables en un premier mandat » ou alors qui seraient « la première étape d’un projet plus ambitieux ». Bizarrement, pas une ligne de proposition n’était consacrée au « projet plus ambitieux » d’origine : la sortie du capitalisme.
Erreur fatale
Cela n’est pas passé inaperçu chez ceux qui ont cru et croient encore à l’identité première de leur parti. « Nous sommes de plus en plus alarmés par ce que nous croyons être une dérive importante des racines radicales de notre parti au profit d’une direction réformiste et nationaliste, écrivent les membres du collectif Tendance marxiste, un groupe constituant de QS. Nous pensons qu’il s’agit d’une erreur fatale qui conduit le parti dans une impasse. »
Ces dernières semaines, ils ont lancé une campagne visant à « ramener QS à ses racines anticapitalistes ». Ils réécoutent en boucle et les larmes aux yeux les vieux discours où un Gabriel Nadeau-Dubois qui ne portait pas le veston et la cravate chantait les louanges de « la lutte des classes ».
À leur tentative de faire introduire dans la plateforme les dispositions du programme portant sur la nationalisation des mines et de l’industrie forestière, la députée Ruba Ghazal fut tranchante. « Oui, à Québec solidaire, on veut recourir à la nationalisation pour encourager certains secteurs — par exemple pour les CHSLD privés et le secteur des minéraux stratégiques dans certaines situations, etc. —, mais pas le faire comme ça de façon systématique », a-t-elle soutenu. Elle fut fortement appuyée au micro par Manon Massé, celle-là même qui, dans un moment d’égarement en 2018, avouait être marxiste.
Nationaliser de façon systématique est précisément la stratégie de sortie du capitalisme prévue dans le programme solidaire. Le vote de ce week-end est donc un renoncement majeur. Les paroles de Mmes Ghazal et Massé sont des copier-coller des arguments servis par Jacques Parizeau aux militants péquistes des années 1970 qui souhaitaient, comme leurs amis socialistes français d’alors, nationaliser massivement pour « rompre avec le capitalisme dans les 100 jours » de leur prise de pouvoir.
Dans un baroud d’honneur, le Collectif marxiste a tenté d’imposer, pour 2030, une cible de réduction des GES de 65 %. À ce niveau, a dit très justement un militant, « ça signifie qu’on sort du cadre capitaliste et on a une économie dirigée ». La majorité des militants ont dit non.
Ce faisant, ils ont enterré la mission anticapitaliste de leur parti. Rien ne les distingue plus, fondamentalement, des sociaux-démocrates naguère honnis. Ils sont rentrés dans le rang. Ils ne posent plus « les vraies questions ». C’est un grand jour pour le capitalisme. Je ne dis pas que l’existence de QS, jusqu’ici, l’empêchait de dormir. Mais il peut désormais dormir plus profondément encore.
jflisee@ledevoir.com ; blogue : jflisee.org