Il ne faudrait pas devenir anxieux
Chaque fois, la culbute est fascinante. Malgré le laxisme, la négligence, l’accumulation des décisions ouvertement climatonégationnistes, ils apparaissent tout sourire sur les podiums, devant les caméras, pour dire que nous avançons dans la bonne direction, qu’il faut continuer nos beaux efforts. À Glasgow cette semaine, Justin Trudeau et François Legault ont ainsi réussi à peindre en vert l’avenir bien sombre qui s’esquisse devant nous.
Justin Trudeau a vanté son modèle de tarification du carbone et s’est engagé, aux côtés des dirigeants d’une vingtaine de pays, à cesser, dès la fin de l’année 2022, le financement public direct des projets dans le secteur des énergies fossiles. Le ministère canadien des Ressources naturelles a cependant tenu à préciser, en marge des annonces faites à la COP — et parce qu’il ne faudrait surtout pas avoir l’air déterminé à en finir avec les hydrocarbures —, que dans « de rares circonstances clairement définies qui correspondent à la limite de réchauffement de 1,5 degré Celsius et aux objectifs de l’Accord de Paris », il serait encore possible de soutenir l’exploitation des énergies fossiles.
Quant à la taxe sur le carbone du gouvernement Trudeau, dont le coût atteindra 50 $ la tonne en 2022, on constate qu’en dépit de la fierté affichée, son effet sur la réduction des émissions est loin d’être suffisant, et son coût est loin d’éponger les dégâts causés par l’extraction et la consommation des hydrocarbures. La taxe n’est pas non plus incompatible avec le développement de nouveaux projets pétroliers et gaziers, qui arrivent aisément à absorber les coûts de cette mesure. Les responsables de plus de la moitié des émissions canadiennes de GES n’ont donc pas trop à s’inquiéter. Au mieux, la taxe sur le carbone sert à donner l’impression d’une action gouvernementale forte, afin de maquiller le renoncement de l’État à défendre les intérêts de la population face à l’industrie.
Bien peu de choses
On ressortira donc de la COP26 avec bien peu de choses, sinon une angoisse un peu plus aiguë. Qu’à cela ne tienne, François Legault a tenu à se faire rassurant lors de son arrivée en Écosse, en affirmant que même s’il partage le sentiment d’urgence face aux changements climatiques — un sentiment qui ne se reflète ni dans les engagements passés de son gouvernement, ni dans son orientation actuelle, ni dans ses projets futurs —, il ne faudrait tout de même pas « devenir anxieux ».
Nous faisons bien les choses au Québec, a-t-il tenu à rappeler, mieux que partout ailleurs en Amérique du Nord, même. Cela ne nous a pas empêchés de rater lamentablement la cible de 20 % de réduction de GES prévue pour 2020, en n’atteignant qu’un maigre 6 %. Et pendant ce temps, à l’échelle globale, les émissions ont repris en force après la modeste halte observée depuis le début de la pandémie, révélait une étude du Global Carbon Project publiée à l’occasion de la COP26.
Pour atteindre la cible de 37,5 % de réduction par rapport aux émissions de 1990 en 2030, il faudrait passer en quatrième vitesse, effectuer un virage radical que nous aurions dû faire il y a plusieurs années. Toujours selon l’étude du Global Carbon Project, au rythme d’émissions observé au cours de la reprise postpandémie, il ne reste que huit ans pour avoir 50 % de chances de limiter le réchauffement à 1,5 degré, et 32 ans pour limiter le réchauffement à 2 degrés. C’est ridiculement peu, d’autant plus qu’il devient de plus en plus clair qu’un réchauffement au-delà de 2 degrés est plus probable et plus proche que nous le croyions.
Réchauffement plus rapide au Québec
Au Québec, le climat se réchauffe plus rapidement que la moyenne mondiale, les conséquences sur les communautés se multiplient à une vitesse alarmante, la biodiversité est sévèrement menacée. Or, la consommation de produits pétroliers tend à augmenter, et on nous parle encore de développer un projet autoroutier à 10 milliards de dollars et aux impacts environnementaux non évalués.
François Legault a beau dire que nous faisons mieux qu’ailleurs, on se demande comment un gouvernement qui, en 2018, s’est fait élire avec une plateforme environnementale quasi inexistante et qui, aujourd’hui, n’accorde encore à l’environnement que l’attention d’un demi-ministre, pourrait apaiser l’anxiété vécue par celles et ceux qui risquent terminer leur vie sur une planète défigurée. Car c’est bien ce qui nous attend.
Encore cette semaine, une étude d’envergure menée à la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke auprès de 10 000 personnes indiquait que la crise climatique affecte déjà considérablement la santé mentale des Québécois. Or, il ne s’agit plus seulement d’affronter l’anxiété, mais aussi un profond sentiment de perte, un deuil envahissant.
Pour les gens de ma génération et de celles qui suivent, les risques posés par la crise climatique déterminent entièrement les perspectives d’avenir. Il n’y a plus de rêves, plus de projets qui ne soient pas façonnés par la réalité palpable, concrète, de la destruction des écosystèmes et de nos milieux de vie.
Nous nous préparons à affronter des décennies de disparition, de destruction et de souffrance humaine. Ceux d’entre nous qui auront la chance de vivre vieux mourront sur une planète méconnaissable. C’est désormais une certitude. La seule question qui demeure en suspens est de savoir si nous mourrons sur une planète habitable. Il ne reste plus beaucoup de place pour l’optimisme — et en fait, l’optimisme ne sert pas à grand-chose. La seule chose qu’il nous reste est peut-être la résilience.