C'est la vie! - Le style Urbania

Ils suintent ce je-ne-sais-quoi d'intelligence supérieure qui les autoriserait à voter si Raël était porté au pouvoir. C'est plus fort qu'eux: ils sont jeunes, beaux et cools comme quand on a 20 ans, résolument sur la touche, un peu pigistes, un peu artistes et pas tristes (pour la rime). Ils occupent un loft du boulevard Saint-Laurent qui leur permet de prendre le pouls de la ville en fumant une Player's à la fenêtre.
Le jour, ils font du design graphique, de la conception de publicité. Leur agence s'appelle Toxa. Le soir, ils ne prennent pas la peine de changer de t-shirt mais portent le chapeau de rédacteur, préparent activement le prochain numéro du trimestriel Urbania, l'un des magazines les mieux lookés en ville.Magazine concept, fleur de macadam issue d'un croisement entre le pissenlit (une espèce en voie de disparition) et la fleur en plastique de Dollarama quatre saisons (résistante), Urbania est la carte d'affaires la plus volumineuse et la plus imaginative dont on puisse rêver. En plus, ils ont le sens des affaires: ils la vendent 5,95 $. Le dernier et cinquième numéro, consacré au son, est également le premier en couleurs, tiré à 10 000 exemplaires. On a conservé des photos en noir et blanc en hommage à l'art. Ça en jette au jet-set.
Si je débarquais à Montréal, venue d'une région obscure comme le 450 ou, pire, le 819, je m'offrirais toute la collection d'Urbania (www.urbania.ca) avant de me lancer dans la grande ville et de me définir un style. Parce qu'un citadin sans style, c'est un peu comme une coupe de cheveux sans mise en plis: ça manque de volume.
Chez Urbania, le style est un préalable. L'équipe d'Urbania offre une lecture «trou de beigne» du plasma urbain: tout se passe downtown, pas très loin de la prochaine station de métro. On interviewe des personnages davantage que des Montréalais, des passionnés qui donnent à leur ville une couleur distinctive.
Style, genre, comme
La dernière réunion de la famille élargie d'Urbania — la romancière Nadine Bismuth est correctrice pour eux; on ne se mouche pas avec du papier de toilette! — portait sur le prochain numéro, consacré au style. Un beau concept mais un piège immense: celui de s'autoproclamer icône du bon goût.
J'ai partagé leur remue-méninges sur le sujet durant deux bonnes heures et j'en suis ressortie plus mêlée qu'en entrant, aux prises avec des doutes existentiels d'adolescente schizo qui a le kick sur le plus beau gars de la gang et qui ne sait plus quel style adopter: baveuse, sexy, altermondialiste, névrosée, dj, gothique, psycho-gouine?
Dans mon carnet, j'ai inscrit toutes sortes de paramètres propres au style qui pourraient me servir de phrases-tampons lors de mon prochain cocktail: «La nouvelle tendance, c'est le rurosexuel: la salopette, la chemise de chasse, le style Home Dépôt. On devrait rebaptiser le magazine Rurbania!» (Pascal). «As-tu du style quand t'es tout nu?» (Émilie). «Tout le monde est androgyne à New York en ce moment!» (David). «Verdun, on ne sait pas si c'est dix ans en avance ou dix ans en retard» (Vianney). «On peut avoir un style sexuel, par exemple le style intello-cochonne!» (Georges). «Si t'es gai, le style arrive plus jeune» (Philippe).
Un petit tour de table pour savoir qui avait du style... J'ai nommé Marilyn Monroe et, comme couple, Dalí et Gala. J'ai entendu: Jean-René Dufort, les Italiens at large mais de préférence en Italie, Philippe Dubuc, Jean Charest (hein?), Nelly Arcan (pour l'accent de l'UQAM), Rome et les Romains, Pierre Elliott Trudeau, Foglia, Jean Dion, qui n'est pas Italien malgré les rumeurs. On a beaucoup parlé chiffon, Vanessa et moi avons chanté Mon étiquette, c'est ma casquette, de Dany Aubé (ben quoi? faut se détendre!), on s'est entendus pour dire que le style, c'est être bien dans sa peau, habillé ou tout nu, dégager une certaine confiance en soi, se connaître sous toutes les coutures, et que ça arrive rarement avant 30 ans. Au bout d'un moment, quelqu'un a posé la question à cent balles: «Et le Québec, c'est quoi, son style?» «On se cherche!», a répondu David.
Rebrander le Québec
Cet exercice de style a débouché sur le prochain angle du magazine: rebrander (comme dans branding) le Québec, ou plutôt Montréal. Lui donner un sens, un style, uniformiser les codes visuels. «Si on part du principe que le style reflète notre personnalité, une ville devrait elle aussi refléter la personnalité de ses habitants», explique le corédacteur en chef, Vianney Tremblay. Tout le monde semble d'accord: la ville de Montréal manque cruellement de plan directeur en matière de style et flirte avec le chaos.
Je suis repartie en me demandant si ma ville me ressemblait, quel était son style, si le mien en prenait pour son rhume avec la grippe et son paquet de Kleenex sales dans le fond de sa sacoche. Peut-on porter une poubelle avec style? Et le style est-il si primordial? Je me suis demandé si le style s'enseigne, par qui et comment? Est-ce qu'il suffit d'aller se faire coiffer boulevard Saint-Laurent et de prendre sa bière chez Edgar Hypertaverne? Je vous promets une réponse là-dessus d'ici quelques semaines.
J'ai songé à rappeler ma psy pour arrêter de me manger les doigts en me posant des questions idiotes. Je suis embarquée dans la fourgonnette Chrysler champagne (grave erreur de style) de mon défunt père (qui en avait pourtant beaucoup) en me disant que même au volant d'une mononcmobile de banlieue, mon style, c'est mon cul. Mais tant que je suis assise dessus, personne ne peut le voir.
Écrivez à cherejoblo@ledevoir.com.
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Si j'avais 25 millions de dollars
Y a rien comme une première bière! À cette heure-ci, j'ai le sentiment du devoir accompli. J'aime pas qu'on vienne m'emmerder. La journée a été rude. Il a fallu renforcer les digues. Il y en a encore un qui a réussi à s'échapper ce matin. J'ai manié la grue pendant six heures. Avec mes hommes, on a installé le nouvel échangeur d'eau et l'oxygénateur. Plus puissant, cette fois, parce que maintenant, ils sont soixante! Ils se reproduisent...
En après-midi, on s'est attaqués au déboisement. Les bâtiments en bois rond arrivent demain. Tous les emplacements sont fin prêts. Les habitations des élèves, les chalets des profs, la salle de spectacle, l'atelier de fabrication des décors, le restaurant, les studios d'enregistrement. Tout en bois rond. Ça va être un vrai paradis. Le centre d'art populaire dont j'ai toujours rêvé. De ma galerie, on voit rien. C'est normal, j'ai installé mon chalet à l'autre bout des 400 acres de la propriété. J'aime pas qu'on vienne m'emmerder.
Dans deux mois, le centre sera en fonction pour cinquante élèves. J'ai sélectionné huit profs. Il y a Charlélie pour aider les auteurs, Tom Waits pour les arrangements, Manu Katché s'occupera des sections rythmiques avec Caron pour les bassistes. Aux guitares, j'ai prévu Réjean Bouchard pour le country-folk, Al Di Meola pour le free jazz et Paco De Lucia pour le flamenco. Pour les pianistes, Philippe Noireaud fait du bon boulot. J'ai encore personne pour les techniques vocales... chuis un peu dans la merde, j'avoue.
Excusez, mais faut que j'vous laisse. Je les entends. Ils sont efficaces, mais qu'est-ce que ça peut bouffer, des crocodiles!
J'aime pas qu'on m'emmerde!
Jamil
Artiste, auteur-compositeur-interprète
En spectacle au Petit Medley à Montréal à compter de demain
(Oui, je recommence une série de shows.)
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Laissé: un message dans la boîte vocale de Michèle Richard (elle n'a pas d'agent) pour lui offrir de dépenser 25 millions de dollars. Elle a un style inimitable, mais elle ne m'a toujours pas rappelée.
Placoté: avec le créateur de mode Georges Lévesque (boutique Scandale) pour lui offrir 25 millions de dollars. J'en ai profité pour demander à cet artiste qui a vêtu Diane Dufresne, Nanette Workman et Carole Laure (trois styles bien distincts) quelle est sa définition du style: «C'est quelqu'un qui ne suit pas la mode, qui a de l'élégance même tout nu. C'est quelqu'un qui est bien dans son corps. Des quétaines peuvent avoir du style. Dolly Parton a du style. Sting a du style, George Harrison en avait aussi. Au Québec, je penserais à Anne-Marie Cadieux et à David La Haye. Il faut aimer se démarquer, ne pas passer inaperçu. Avoir du style, ce n'est pas du snobisme, ni être hautain. On peut projeter ça, mais ce n'est pas le but de la chose.»
Remarqué: la semaine dernière au Festival de Saint-Tite (dans le 819) que le trench de toile cirée (oilskin duster) se porte encore beaucoup cette année. Avec le chapeau de cow-boy, bien sûr. Un style indémodable.
Spotté: plusieurs activités follement urbaines dans la programmation des Journées de la culture (www.journeesdelaculture.qc.ca) qui se dérouleront cette fin de semaine. Notamment, ne ratez pas l'activité «Prenez-vous pour un autre», qui vous permettra peut-être de vous refaire un style. À travers les salles de répétition et les studios de l'École nationale de théâtre de Montréal, vous pourrez observer et expérimenter les pouvoirs de la lumière, de la voix, du costume, du texte, du son ou du décor dans la construction d'un personnage de théâtre. Samedi de 11h à 17h. 5030, rue Saint-Denis, (514) 842-7954.