Le train en marche de l’art autochtone

Les temps sont propices aux récupérations politiques, main sur le cœur. Les mauvaises consciences collectives aiment verser des larmes à date fixe. Du coup, l’émotion s’en mêle. D’autres n’ont pas trop envie de se regarder dans le miroir du colonisateur… De heurts en crispations, ça brasse dans la cabane.

Faut-il que la cause des Autochtones soit névralgique pour susciter autant d’excuses penaudes en haut lieu, hors des grands enjeux liés à des siècles d’injustice : celles de Justin Trudeau pour avoir pris le chemin de la plage lors de la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation. Celles de François Legault, après qu’il se fut embourbé dans des arguments comptables en refus d’en faire un jour annuel férié. Mais pas question d’entériner la notion de racisme systémique de son côté. Même quand l’anniversaire de la mort de Joyce Echaquan bouleversait son peuple.

Par ici les guerres de sémantique jusqu’à plus soif ! Racistes, nous ? L’un dans l’autre, jamais le sort des peuples autochtones n’aura autant passionné les Québécois, soudain confrontés à leur part d’ombre. Du coup, la vie culturelle prend beaucoup leurs couleurs, pas juste en musique et au musée.

Les récits et poésies, du Kukum de Michel Jean aux œuvres de Joséphine Bacon et d’An Antane Kapesh, font fureur. Et tant mieux si le moment invite à découvrir comment les anciens maîtres du territoire furent mis en boîte.

Au théâtre, la compagnie Ondinnok propose depuis 1985 une riche dramaturgie en français sur les Premières Nations. La pièce La cendre de tes os de Dave Jenniss, bientôt à La Petite licorne, avec chants et paroles en langue wolastogiyik (malécite), quasi éteinte, ralliera un public plus connaisseur qu’hier.

Quant au film Bootlegger de l’artiste multidisciplinaire Caroline Monnet, aux origines mi-anichinabées, mi-françaises, lancé en ouverture du FNC, désormais au grand écran, il tient du petit événement. Dans une réserve innommée, les femmes sont puissantes, les lieux s’embrasent. Traditions, Loi sur les Indiens, émancipation, bien des portes s’ouvrent et le vent s’y engouffre.

Les longs métrages en français issus des Premières Nations demeurent une rareté. Kuessipan de Myriam Verreault, Avant les rues de Chloé Leriche, Hochelaga de François Girard, bien d’autres, étaient réalisés par des Blancs. En 2011, avec Mesnak, le Huron-Wendat Yves Sioui Durand, entre tâtonnements et envolées lyriques, fut le premier au Québec à s’y frotter.

Les Amérindiens anglophones du pays, dont le Micmac Jeff Barnaby (fabuleux Rhymes for Young Ghouls), la Mohawk Tracey Deer avec Beans, la cinéaste crie-métisse Danis Goulet à l’étonnante œuvre d’anticipation Night Raiders (en salle), sont plus nombreux que dans nos rangs.

Reste que les Inuits dominent le jeu, avec les grands films de Zacharias Kunuk (Atanarjuat, pur chef-d’œuvre), produits par la compagnie Isuma dans laquelle il s’implique. Nées au Nunavut, ces œuvres dégagent d’autant plus d’authenticité que le peuple du Nord en contrôle l’esprit et en tire les ficelles. Ailleurs, ce sont souvent des cinéastes des Premières Nations vivant hors réserves et semi-étrangers à leurs coutumes, familiers des modes de production habituels, qui témoignent de leur vérité.

Bien sûr, les institutions ne demandent pas mieux que de financer des fictions autochtones, aux assises francophones aussi. Mais elles auraient intérêt, comme l’ensemble du milieu, à mieux apprivoiser la nature des communautés. Et celles-ci à s’impliquer davantage.

Les acteurs des Premières Nations ne sont pas si nombreux de notre côté de la clôture. Au Canada anglais, un cinéaste peut puiser dans un large bassin d’interprètes d’un océan à l’autre. Des formations d’art dramatique gagneraient à se multiplier ici. Un plateau de cinéma, c’est lourd. Tourner dans une réserve commande une patte de loup. À assouplir : les modes de production, les budgets, les horaires !

Pas évident d’imposer des équipes urbaines à des peuples évoluant sous d’autres rythmes. Lancer de gros camions dans un univers clos braque des sensibilités. Des cérémonies avec les aînés sont souvent requises. Quand un film est tourné dans une langue autochtone, les acteurs ne la maîtrisent pas toujours, certains parlant l’atikamekw mais non l’innu ou l’anichinabé. Des besoins de traduction doivent pouvoir se combler sans procédures à n’en plus finir. La création de maisons de production autochtones averties éclairerait les lanternes.

Faut-il demander aux Autochtones de s’adapter aux contraintes de notre industrie ou leur emboîter le pas à la file indienne ? Chose certaine, le cinéma de fiction, si cher et si complexe, réclame, sous leur griffe et leurs chants, le loisir de se réinventer.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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