Solution asymétrique
Quand on dit, au Québec, que l’indépendantisme est en panne, voire qu’il a échoué, on oublie d’ajouter que l’option concurrente, le fédéralisme renouvelé, a subi le même sort. Le statu quo, depuis, s’impose par épuisement des troupes, mais l’insatisfaction envers le régime fédéral demeure et elle ne s’exprime pas qu’au Québec.
« La vaste majorité des Canadiens s’accorde pour identifier plusieurs problèmes structurels importants dans le fonctionnement du fédéralisme canadien », notent les politologues Evelyne Brie et Félix Mathieu. Toutefois, les Canadiens, y compris les Québécois, continuent de croire que le modèle fédéraliste « demeure un compromis acceptable et raisonnable afin d’assurer une saine gestion de la diversité constitutive du pays ».
En gros, donc, les Canadiens, les Québécois et les Premiers Peuples reconnaissent la valeur du fédéralisme, mais sont insatisfaits de son fonctionnement actuel. Le problème se complexifie quand on constate que, d’une région à l’autre du pays, il n’y a pas d’accord sur les causes des problèmes identifiés et sur les solutions possibles.
Dans Un pays divisé (PUL, 2021, 204 pages), sur la base de vastes sondages récents, Evelyne Brie et Félix Mathieu, tous deux chercheurs en études québécoises et canadiennes, prennent acte de la profonde division du pays, illustrée une fois de plus par les résultats des dernières élections fédérales, mais ils ajoutent que « les divisions ne sont pas nécessairement symptomatiques d’une incapacité à coexister paisiblement au sein d’un seul et même espace politique souverain, si les peuples qui le composent le désirent ».
Quatre options se présentent aux Canadiens dans la situation actuelle. La première consisterait en une opération de nation building visant à unifier le pays au moyen de politiques centralisatrices. C’était l’idée de Pierre Elliott Trudeau. Théoriquement pensable, cette idée est pratiquement irréalisable dans un pays qui se présente comme un champion de la diversité.
La deuxième option est le statu quo. Les insatisfactions actuelles envers le régime montrent bien qu’elle est intenable à long terme. Le Québec, les provinces de l’Ouest et les Premiers Peuples, plus particulièrement, ne sauraient s’en contenter.
La troisième option est « l’éclatement de la fédération canadienne et l’émergence de nouveaux projets politiques et démocratiques souverains en Amérique du Nord ». Brie et Mathieu reconnaissent sa légitimité, mais soulignent ses difficultés, notamment en ce qui a trait à la réaction étasunienne. Ils constatent, surtout, le fait indéniable que les appuis populaires ne sont pas au rendez-vous pour le moment, bien qu’un statu quo persistant pourrait les faire augmenter.
Brie et Mathieu optent plutôt pour une autre voie, celle du fédéralisme asymétrique, qu’ils présentent comme « la plus réaliste pour le Canada ». Reprenant les termes du rapport de la commission Pepin-Robarts de 1979, ils avancent que l’objectif d’un tel modèle serait « d’habiliter politiquement et constitutionnellement les diverses “sociétés distinctes” du Canada ». De cette manière, les provinces qui le souhaitent « pourraient partager davantage de compétences constitutionnelles avec le gouvernement central », allant ainsi dans le sens d’une centralisation accrue, alors que d’autres pourraient opter pour plus d’autonomie institutionnelle, satisfaisant ainsi leur désir de décentralisation.
Trop beau pour être vrai ? Brie et Mathieu s’en défendent. « Notre proposition pour un fédéralisme asymétrique n’est pas naïve pour autant », écrivent-ils, avant d’ajouter que « l’acceptation de ses prémisses par les divers partenaires de l’association politique fédérale nécessiterait que nos imaginaires du Canada évoluent substantiellement ».
Or, puisque l’insatisfaction envers le modèle actuel est répandue, voire majoritaire, au Québec comme ailleurs au Canada, bien que ce ne soit pas pour les mêmes raisons, envisager cette piste de solution n’a rien de fantaisiste. Cela ne pourra se faire, toutefois, qu’à condition de faire comprendre aux Canadiens des diverses régions qu’une telle asymétrie n’est pas un jeu à somme nulle où ce que l’un obtient est perdu pour l’autre.
On en est loin, mais les jeunes politologues veulent y croire, en tenant compte du fait que les moins de 50 ans n’ont jamais eu leur mot à dire dans ce que d’aucuns appellent les « vieilles chicanes constitutionnelles » et sont peut-être prêts à repenser la question à nouveaux frais.
Remarquable par sa clarté descriptive et argumentative ainsi que par son sens de la nuance, Un pays divisé s’inscrit dans la lignée des travaux éminents des Guy Laforest et Alain-G. Gagnon, penseurs québécois de haut vol, capables de plaider pour un fédéralisme renouvelé favorable à la nation québécoise, sans porter préjudice au reste du pays.