Un déni lourd de sens
On aurait difficilement pu imaginer une façon plus disgracieuse de souligner le premier anniversaire de la mort de Joyce Echaquan, donnant ainsi le ton à la première Journée nationale de la vérité et de la réconciliation.
On savait que les proches et les membres de la communauté de Joyce Echaquan étaient déçus par le manque d’engagement du gouvernement Legault dans la lutte contre les discriminations subies par les Autochtones dans le système de santé. On a aussi appris que la famille Echaquan avait été froissée par l’annonce de la création d’une réserve de biodiversité en l’honneur de Joyce — le caractère précipité de la chose, le fait de ne pas avoir attendu leur signal avant d’aller de l’avant.
L’idée qu’il soit possible de forcer des hommages tout en ignorant l’essentiel est à l’image de tout ce qui entoure la « réconciliation » telle qu’on l’aborde aujourd’hui. Or, le premier ministre Legault a dépassé toutes les attentes en se positionnant en victime de l’ordre du jour politique des oppositions, alors qu’il s’entête à bloquer l’adoption du Principe de Joyce, lequel se trouve pourtant au cœur des revendications portées par la famille et la communauté depuis ce décès révoltant.
L’attitude du premier ministre pourrait être rangée sous l’enseigne de la mesquinerie partisane ordinaire, si seulement elle n’était pas aussi représentative de l’(in)action de son gouvernement dans ses relations avec les communautés autochtones du Québec.
Le ministre Ian Lafrenière se félicitait d’avoir au moins partiellement mis en œuvre 68 des 142 appels à l’action du rapport de la commission Viens, deux ans après son dépôt. On avance dans la bonne direction, annonçait-il, promettant que les conditions de vie des Autochtones « s’améliorent ». Le bilan des initiatives découlant de la commission Viens serait cependant très modeste. Selon le comité de suivi de la commission, les mesures adoptées ne sont pas beaucoup plus qu’« anecdotiques » et ne répondent que très partiellement aux recommandations. Seuls cinq appels à l’action auraient mené à des mesures jugées satisfaisantes.
Ce n’est pas par hasard que le chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL), Ghislain Picard, a tenu à s’adresser directement à la population pour lutter contre le racisme et la discrimination subis par les Autochtones, exaspéré qu’il est par le déni systématique émanant des instances gouvernementales.
Le déni est systématique et constant, cela ne fait aucun doute, du moins s’agissant du présent gouvernement. Mais ce déni a aussi des racines historiques profondes. La bisbille entourant le rejet acharné du Principe de Joyce reprend ainsi un air bien connu, maintes fois repris dans la mise en œuvre de l’ambition coloniale d’effacement des peuples autochtones.
La semaine dernière, un reportage de l’émission Enquête se penchait sur la stérilisation forcée de femmes noires et autochtones ici, au Québec — pas celui des années 1950, mais bien celui des années 2010. Les témoignages sont aussi violents que déchirants. Des femmes rapportent avoir été manipulées, humiliées et menacées, parfois en plein accouchement, afin de consentir à une stérilisation. Les pires stéréotypes racistes sur l’inaptitude parentale leur étaient servis pour justifier la nécessité de l’intervention.
En filigrane des témoignages, on voyait planer le spectre nauséabond de la peur du ventre des femmes non blanches et de l’obsession coloniale pour le contrôle du corps des femmes.
Dans la foulée du reportage d’Enquête, il s’est d’ailleurs trouvé plusieurs personnes pour souligner avoir d’abord accueilli avec scepticisme l’idée que l’on puisse soumettre des femmes à la stérilisation forcée aujourd’hui au Québec. Des cas isolés peut-être, mais pas une pratique récurrente, allons donc ! Cette incrédulité — une sorte de rejet bien intentionné — n’est pas le fruit du hasard : elle a été cultivée au fil du temps pour dissimuler la violence et les tentatives d’effacement subies par les peuples autochtones.
Cette persistance d’une présomption défavorable à l’existence de discriminations distillées dans des discours, pratiques et institutions autrement destinés au bien-être de la population, c’est le produit d’une longue histoire. Et c’est précisément ce qui est à l’œuvre dans le rejet du Principe de Joyce et les querelles au sujet du racisme systémique.
Cette expression, j’en conviens, a été vidée de son sens à force de tractations partisanes. Ce n’est d’ailleurs ni rare ni neuf que les mots de la contestation sont ainsi neutralisés. Reste que, dans le cas de François Legault, il ne s’agit pas que d’une affaire sémantique. Dans les distorsions qu’il inflige aux mots, dans son entêtement à dire qu’il n’a « jamais vu » un « système » de discrimination en place, le premier ministre interdit que l’on nomme et que l’on s’attelle à ce qui se trouve pourtant à la vue de tous.
Voir Joyce Echaquan mourir sous une pluie d’insultes, entendre les témoignages de femmes et d’hommes autochtones mal reçus dans le système de santé et refuser malgré tout de s’engager sur un principe clair, ce n’est pas qu’une affaire de mots. C’est une prise de position sans équivoque par rapport à la réalité que ces mots désignent.
Quant au refus de Québec de souligner la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, quoi qu’on pense de l’impact d’une telle mesure, cela nous donne encore une fois l’heure juste.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.