Le pire est à venir

C’était il y a tout juste deux ans, dans un monde à la fois identique et fort différent de celui que nous connaissons aujourd’hui. À Montréal, des centaines de milliers de personnes s’entassaient dans les rues et sur les places publiques à l’occasion de la journée de grève mondiale pour le climat. Greta Thunberg, qui venait de traverser l’Atlantique à bord de son petit voilier, marchait en tête du cortège aux côtés de militants autochtones et étudiants.

Deux ans plus tard, le sentiment d’urgence qui animait les foules partout à travers le monde n’a fait que s’intensifier, au gré de la pandémie, de la multiplication des catastrophes naturelles et de l’assombrissement des pronostics climatiques, même les plus pessimistes.

À six semaines de la COP26, qui se tiendra à Glasgow, il est devenu clair que l’objectif fixé en 2015 par l’Accord de Paris — limiter le réchauffement planétaire à moins de 2 degrés Celsius — sera lamentablement raté. Si l’on évalue les engagements actuels pris par les États membres de l’Accord, il apparaît plutôt que nous nous dirigeons vers une augmentation catastrophique de 2,7 °C. Ces constats alarmants ont été relayés par l’ONU au moment même où les Canadiens s’apprêtaient à se rendre aux urnes pour choisir, parmi un ensemble de partis climato-complaisants, lequel serait appelé à former le prochain gouvernement…

Manifestation mondiale pour la justice climatique

 

Foncer dans le mur plus ou moins rapidement, voilà en gros ce à quoi il faudrait se résigner.

Seulement quelques mois séparent les mobilisations internationales pour le climat de septembre 2019 et le début de la pandémie de COVID-19. L’enchaînement des événements est frappant : une visibilité inégalée pour la lutte environnementale, puis la démonstration éclatante du fait que nos sociétés, lorsqu’elles vivent de grands bouleversements, choisissent aussitôt de sacrifier les plus vulnérables.

Presque deux années de vie pandémique n’ont d’ailleurs pas suffi pour remédier à ce réflexe sordide. Notre compréhension de la notion de « résilience » demeure empêtrée dans des rapports de domination de toutes sortes.

Les organisations qui appellent à manifester un peu partout au Québec en ce 24 septembre 2021, dans le cadre de la Manifestation mondiale pour la justice climatique, l’ont bien compris. Solidarité sans frontières, le Collectif Mashk Assi, Pour le futur Montréal et la Coalition étudiante pour un virage environnemental et social (CEVES) entendent tracer un lien clair entre la réduction des émissions de GES et l’adoption de mesures sociales visant à atténuer les conséquences des changements climatiques.

La carboneutralité d’ici 2030

En plus d’exiger la carboneutralité d’ici 2030, on revendique l’amélioration des conditions socioéconomiques des travailleurs, la régularisation du statut des personnes migrantes ainsi qu’un réinvestissement des budgets des forces policières dans les services à la population.

Soudain, cependant, les engagements « pour le climat » ne suscitent plus le consensus béat auquel nous sommes habitués. Après tout, jamais, lorsqu’il est question de défendre des travailleurs, des migrants, des populations marginalisées, des gains ne sont réalisés sans une lutte acharnée. Une lutte menée précisément sur un terrain dominé par ceux qui, d’un côté, s’engagent à préparer un avenir durable, pendant que, de l’autre, ils s’affairent à détruire les mécanismes de solidarité et de contestation démocratique.

C’est pourtant sur ce front qu’il faut agir, car les exigences posées par la crise climatique ne visent pas seulement l’atteinte de cibles abstraites. Elles visent aussi la défense — ici et maintenant — des conditions de vie des populations qui font les frais au premier chef des logiques sacrificielles à l’œuvre dans nos sociétés.

Pour résumer l’idée, je reprendrais l’expression attribuée au militant syndicaliste brésilien Chico Mendes : « L’écologie sans la lutte des classes, c’est du jardinage. » Une lutte qui, d’ailleurs, se décline selon des lignes de fracture genrées et raciales claires.

Une bonne dose de brasse-camarade

 

L’orientation en ce sens des mobilisations écologistes présage une bonne dose de brasse-camarade, à moyen comme à long terme. À mesure que l’urgence climatique s’aggravera, l’espace de contestation dont bénéficient les mouvances en lutte pour une réelle justice climatique sera compromis par une tentation autoritaire dont nous avons déjà un avant-goût.

Au Québec, la gestion de la pandémie, articulée par le premier ministre François Legault dans sa langue de patron, a donné le ton. La légèreté avec laquelle on aborde l’érosion des droits démocratiques depuis mars 2020 ne cesse d’ailleurs de m’étonner. La reconduction indéfinie de l’état d’urgence, la gouvernance par décrets, le contournement des rapports collectifs de travail, le mépris pour les effets mortels du couvre-feu et maintenant, une loi visant à restreindre le droit de manifester, présentée comme la seule manière de protéger « nos enfants » et les travailleurs de la santé contre le harcèlement et l’intimidation des militants antivaccins.

Tout cela ne suscite qu’une opposition timide, bridée par la peur d’une association malheureuse avec des mouvances infréquentables. On peut comprendre.

On oublie cependant que les précédents que l’on accepte aujourd’hui façonnent l’espace politique et l’environnement réglementaire au sein desquels se dérouleront les inévitables luttes à venir.

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