Traîtresse Australie

Une fois n’est pas coutume : on va ici se citer soi-même. La chronique du 26 avril, ici même, était intitulée « Vaillante Australie ». Il y était question du courage du gouvernement de Canberra, tenant bon face aux empiétements, insultes et menaces de la Chine.

Depuis 2019, Canberra est monté au front en demandant une enquête sérieuse sur l’origine du coronavirus à Wuhan ; bloquant Huawei soupçonné d’espionnage ; menant l’offensive sur le martyre des Ouïgours ; stoppant des projets d’investissements pour raisons de « sécurité nationale », etc.

Elle en paie le prix en termes commerciaux, le « retour de bâton » chinois n’ayant pas tardé. Avec des tarifs gigantesques décrétés par Pékin contre la plupart des importations australiennes : viande, vins, métaux, bois.

Sans oublier les infiltrations dans les universités (on ne compte plus les histoires d’intimidations contre des professeurs ou des étudiants qui voulaient tenir un discours critique sur la Chine), les histoires d’espionnage, les ressortissants australiens arrêtés en Chine, etc.

 

Ce qu’on voit aujourd’hui, c’est la suite logique de cette évolution stratégique. Isolée géographiquement, sérieusement menacée par son antagonisme croissant avec Pékin, l’Australie se rabat sur la vieille solidarité anglo-saxonne.

Un accord de sécurité a été dévoilé mercredi dernier avec Londres et Washington. Clairement dirigé — sans que ce soit dit — contre l’hégémonie chinoise en Asie, il implique la fourniture à Canberra de sous-marins atomiques par les États-Unis et le Royaume-Uni.

Le hic, c’est que l’Australie s’était engagée depuis 2016 à acheter à la France une flotte de sous-marins. Le contrat signé valait jusqu’à 80 milliards (en dollars canadiens). Annulé du jour au lendemain, sans préavis. La France est furieuse, son ministre des Affaires étrangères parle d’un « coup de poignard dans le dos ».

La dureté des termes utilisés à Paris à l’encontre de Canberra et de Washington est exceptionnelle entre (supposés) alliés : « Il y a eu mensonge, il y a eu duplicité, il y a eu rupture majeure de confiance, il y a eu mépris », a dit Le Drian. Il a qualifié le retrait des ambassadeurs (décidé par Paris) d’acte visant à « montrer [aux pays] anciennement partenaires qu’il y a vraiment une crise grave entre nous ». « Anciennement » partenaires !

Quant à Joe Biden, selon Le Drian, « ses manières ressemblent à celles de Trump… sans les tweets ».

Tout cela s’apparente à un changement de doctrine. Ne plus faire de guerres « où nous n’avons pas d’intérêts vitaux » (Biden, au lendemain du départ humiliant de Kaboul). Priorité désormais à l’Asie. L’adversaire principal : la Chine, de plus en plus dictatoriale à l’interne (techno-totalitarisme 2.0), hautaine et menaçante envers ceux qui osent la contredire.

Et puis, l’Europe… bah ! ce n’est plus si important, l’Europe. La preuve : elle n’est pas dans le coup en Asie (même si la France, au fait, a une présence dans cette région, avec des territoires outre-mer, des intérêts économiques, quelques milliers de soldats). Mais il n’était pas question d’inviter des Français dans cette histoire d’Anglo-Saxons qui s’en vont sauver le monde de l’hégémonie chinoise.

Il est vrai que l’Europe, à tort ou à raison, exprime par rapport à Washington des nuances dans l’approche de la Chine. Sur ce sujet comme sur d’autres, les chemins divergent : l’OTAN « est en état de mort cérébrale », avait dit Emmanuel Macron il y a 22 mois…

Ce tournant stratégique se fait donc en giflant au passage un allié historique comme la France. Mais aussi, en enfreignant le tabou qu’est le transfert de technologie nucléaire : les sous-marins américains de pointe utilisent de l’uranium hautement raffiné (de niveau « bombes »), un produit qui sera donc livré à l’Australie… grave précédent.

L’Australie « traîtresse » du premier ministre Scott Morrison a sans doute ses raisons, et une peur justifiée face au géant asiatique. Mais un qui doit ricaner d’être monté dans ce bateau de façon opportuniste, c’est Boris Johnson. Un point marqué par le Royaume-Uni post-Brexit, contre l’Union européenne.

 

François Brousseau est chroniqueur d’information internationale à Ici Radio-Canada. francobrousso@hotmail.com

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

À voir en vidéo