Un murmure dans le Bas-Saint-Laurent
Ce qui est fascinant, c’est qu’ils en parlent tous dans les mêmes termes : les conséquences des changements climatiques sont déjà visibles, il faut adapter nos infrastructures, notre économie, imaginer une relance verte. En matière d’environnement, les plateformes électorales ont toutes ce ton faussement déterminé où s’enchaînent les formules creuses. La prémisse, apparemment, suscite un consensus.
En s’attardant aux détails, on constate vite qu’il y a un cancre dans la course, ou alors plusieurs cancres, rassemblés sous la bannière du Parti conservateur. Le document présentant le plan d’Erin O’Toole pour lutter contre les changements climatiques est un texte curieux, où chaque proposition en apparence « verte » est aussitôt contredite par une remarque sur la nécessité de prioriser l’emploi, la relance, le développement de l’industrie. Quand il ne s’agit pas carrément de faire fi des exigences de réduction d’émissions de gaz à effet de serre.
Le cancre est conservateur, donc, mais tous les partis, à des degrés divers, finissent par reproduire ce procédé. Dans l’espace public, on se réjouit de voir la question environnementale s’imposer au rang des priorités. Or, on ne s’inquiète pas du fait que cette question est traitée, au mieux, sur un pied d’égalité avec les autres. Sans voir qu’il s’agit de la question qui structure toutes les autres. Sans voir qu’elle est indissociable de l’économie, de l’emploi, des transports — de l’ensemble de l’activité humaine et de la vie démocratique.
Un parfait romantisme
Dans le Bas-Saint-Laurent, une candidate indépendante n’est pas dupe. Noémi Bureau-Civil, qui se présente dans Rimouski-Neigette–Témiscouata–Les Basques, a choisi de mener une campagne « pour une décroissance choisie ». C’est la première candidature du genre au Canada. Originaire de Rimouski, ayant été physiothérapeute à Montréal durant plusieurs années, Noémi Bureau-Civil habite aujourd’hui une minimaison installée sur la terre d’un maraîcher bio, à Saint-Valérien. Elle travaille comme aide-maraîchère et consacre le reste de son temps à l’engagement citoyen.
« À Saint-Valérien, nous avons une communauté où des projets se mettent en branle pour aller dans la bonne direction, c’est-à-dire pour reconstruire le tissu social, m’explique-t-elle. On entend souvent parler de municipalités qui se dévitalisent, mais ici, c’est l’inverse : il y a des espaces pour mettre en commun les idées, les moyens, le temps, afin de bâtir des projets qui ont un sens pour la communauté et qui sont en phase avec l’environnement. »
Reconquérir son temps, organiser sa vie de façon que le travail salarié ne prenne pas toute la place, participer à des projets d’organisation collective : ce scénario est d’un parfait romantisme, le fantasme néorural par excellence. D’ailleurs, la décroissance, le terme, du moins, connaît ces dernières années un sursaut de popularité. Surtout auprès des millénariaux, qui ne voient rien d’autre qu’un mur se dresser devant eux. J’en suis.
On parle ainsi de décroissance à toutes les sauces, la réduisant souvent à une posture éthique, voire esthétique. Ou alors on l’envisage comme une simple diète de consommation ; comme s’il était possible de dompter les excès de la croissance capitaliste par l’ascèse individuelle.
Le discours actuel en environnement
Bien consciente de ces écueils, Noémi Bureau-Civil entend plutôt se servir de la campagne électorale pour éclairer les angles morts du discours actuel en environnement. « La priorité de tous les partis demeure la croissance économique. Or, c’est démontré que la croissance est indissociable des ravages écologiques. Au mieux, certains partis vont promettre le développement durable. Mais ce principe repose sur l’hypothèse qu’il est possible de découpler la croissance économique des ravages écologiques », explique-t-elle. Une forme d’aveuglement qui a atteint sa limite.
Reste qu’il est difficile d’affirmer cela face à un Erin O’Toole, pour revenir à lui, qui se donne le beau rôle en prétendant vouloir défendre l’environnement, mais pas « sur le dos » des travailleurs. O’Toole le fait de façon décomplexée, mais cette fausse opposition se trouve en sous-texte de tous les discours électoraux. Lorsque l’on parle de lutte contre les changements climatiques, on fait souvent comme s’il s’agissait d’un enjeu moral, et non d’une exigence posée par une urgence concrète, manifestement dangereuse pour « les travailleurs » et « l’économie », justement. On ne parle pas beaucoup du prix à payer pour le laxisme actuel.
Noémi Bureau-Civil soutient que la décroissance permet justement un changement de perspective et de lier les inégalités sociales — la réalité des travailleurs qu’on prétend vouloir défendre — avec la crise climatique. « La décroissance est un mouvement qui tient compte des injustices que vivent les personnes et les populations laissées pour compte par le système économique. Ce système requiert qu’il y ait des dominants et des dominés, des gens qui s’appauvrissent sans cesse. Il faut rebâtir une autre économie, une économie de la nature et de la dignité humaine. »
Il est facile, diront certains, de sortir autant du cadre lorsqu’on se présente hors d’un parti, dans une circonscription où le député du Bloc québécois, Maxime Blanchette-Joncas, devrait être réélu sans trop de mal. Reste qu’il y a là l’expression d’une insatisfaction de plus en plus répandue. Il faut espérer que ce murmure soit entendu avant de laisser la place au désespoir.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.